Affaire Magalie Habitant-Analyse de la FJKL : Entre gravité des faits et exigences de justice
La transmission récemment au parquet de Port-au-Prince du rapport de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) sur l’affaire Magalie Habitant et consorts marque un tournant décisif dans la lutte contre l’impunité en Haïti. Mise en cause dans un vaste réseau de connexions présumées avec des chefs de gangs notoires, l’ex-directrice du SNGRS est accusée, aux côtés de plusieurs autres personnalités, d’une série de crimes allant de l’enlèvement à la complicité d’assassinat. Le document, salué par la Fondasyon Je Klere (FJKL) comme un travail sérieux mais perfectible, constitue une étape importante dans la mise à nu des réseaux politico-criminels qui gangrènent les institutions publiques.
Le rapport détaille avec minutie plusieurs faits accablants : échanges de messages avec des figures de gangs, transferts de fonds via des canaux informels, implication dans l’achat de munitions et financement de groupes armés. Il met également en lumière l’implication présumée d’agents de l’État, notamment au sein de la Caisse d’Assistance Sociale (CAS), dans des détournements de fonds destinés aux plus vulnérables. Des éléments matériels comme des relevés téléphoniques, des talons de chèques, ou encore des témoignages ont été mobilisés pour étayer ces accusations. Ces données, si elles sont confirmées par la justice, révèleraient l’ampleur des complicités à différents niveaux de l’appareil étatique.
Cependant, plusieurs failles méthodologiques nuisent à la rigueur du rapport. La FJKL pointe notamment l’usage problématique de notes de renseignement non vérifiées comme preuves, la confusion entre allégations et indices tangibles, ainsi que le traitement inégal des suspects. L’omission du nom d’un homme d’affaires accusé d’avoir fourni un véhicule blindé à un chef de gang contraste avec la pression exercée sur certains hauts fonctionnaires, suscitant des inquiétudes sur une éventuelle instrumentalisation politique de l’enquête. De telles pratiques, si elles sont avérées, sapent la confiance dans le processus judiciaire.
Malgré ces limites, l’enquête ouvre une brèche dans l’opacité des alliances entre figures publiques et groupes armés. Le renvoi de la majorité des prévenus au cabinet d’instruction ouvre désormais la voie à une phase judiciaire plus approfondie. L’enjeu sera d’assurer une procédure équitable, rigoureuse et indépendante, loin des manipulations politiques ou médiatiques. La FJKL, en appelant à une vigilance citoyenne, souligne que seule une justice crédible permettra de restaurer l’autorité de l’État et de répondre à l’exigence populaire de vérité et de responsabilité.
Guyno DUVERNE
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