Il y a vingt-neuf ans …
L’armée d’Haïti, avec le général Raoul Cédras et Major Michel François comme chefs de fil a, dans la nuit du dimanche 29 au lundi 30 septembre 1991, destitué l’élu des élections présidentielles du 16 décembre 1990.
Dans son éditorial au Nouvelliste en date du 30 septembre 2013, titré: Il y a de cela 22 ans, Robert Duval expliquait mieux cette journée macabre des militaires. « Un 30 septembre. Un lundi. Comme aujourd’hui. La nuit recouvrait Port-au-Prince sans étouffer les détonations, les râles d’agonie, les pleurs, les cris nile cliquetis joyeux des flûtes de champagne. Ce jour-là, en 1991, sept mois après la prestation de serment du premier présidentdémocratiquement élu de l’après 7 février 1986, le pouvoir changeait de mains. De façon sanglante et brutale. La démocratie naissante s’était fait manger par ceux qui pensaient avoir pas encore fini de jouir des bienfaits du pouvoir. La démocratie naissante mourait au berceau faute des soins attentifs de ceux qui en avaient la charge.»
Le discours enflammé du président Aristide à l’aéroport de MaïsGâté le 27 septembre 1991 est interprété comme étant la cause occasionnelle au départ forcé du chef de l’État. Mais s’il y avait une cause occasionnelle, dans l’ensemble, il y avait d’autres causes plus profondes que celle d’un discours enflammé du chef. L’élu du 16 décembre était arrivé au pouvoir dans un contexte où il était non seulement coincé par le statu quo en Haïti, mais internationalement désapprouvé par de puissantes ambassades à Port-au-Prince. Faut-il bien se rappeler qu’en réalité, ce qui inquiétait la communauté internationale, la bourgeoisie haïtienne, l’Église et l’armée d’Haïti, ce qu’Aristide représentait: « l’ascension des forces populaires de gauche.»
Avec un discours en faveur des pauvres, Aristide menaçait les classes dominantes du pays qui, depuis l’indépendance d’Haïtien 1804 gardaient les masses défavorisées dans les bidonvilles toujours dans la crasse et dans la misère. Donc, parler d’augmentation de salaire minimum pour les ouvriers, programme d’alphabétisation, la baisse du prix des denrées alimentaires, la perception de frais d’importation, la hausse des impôts pour les riches, c’est comme parler de réforme agraire pendant l’administration de l’Empereur Jean-Jacques Dessalines. Ainsi, avec toutes les menaces que représente le nouveau président contre le statu quo d’Haïti, comme aurait pu dire Dessalines, si ces messieurs ne se soulevaient pas, c’est qu’ils n’étaient pas des hommes.
Campagne de repression contre les supporteurs d’Aristide
Effectivement, dès les premières heures du coup d’État du 30 septembre, les militaires ont, systématiquement, mené unecampagne de répression contre les sympathisants du président enexil. Il y eut plusieurs morts pendant les semaines qui suivirentle coup d’État. Puis vient le FRAPH. Créé en 1991, le «FRAPH (Front Révolutionnaire Armé pour le Progrès d’Haïti, puisdevenu Front pour l’Avancement et le Progrès Haïtien), fut uneorganisation para-militaire d’extrême droite, de type escadron de la mort qui terrorisa, avec les mêmes méthodes violentes des sinistres Tontons macoutes sur la population haïtienne encommettant de nombreux crimes, exécutions sommaires, enlèvements et viols.» Avec la création du FRAPH, la terreur et la répression allaient augmenter contre les pauvres gens dans les quartiers marginaux où était le fief d’Aristide et ceci jusqu’auretour à l’ordre démocratique en octobre 1994.
Entre-temps, pour se mettre à couvert contre la répression des militaires, des milliers de personnes ont, en haute mer, risqué leur vie sur des petits voiliers, pendant que d’autres, ont quittéleurs résidences pour aller vivre dans des zones très reculéesdans les provinces. « 50.000 Haïtiens ou plus ont pris la mer sur des fragiles embarcations pour fuir la répression et la difficile situation économique générée par le 30 septembre. Par centaines, par milliers, des vagues successives d’Haïtiensoriginaires de tous les départements géographiques ont tenté la grande aventure. Terrorisés dans leurs zones respectives, les premiers contingents étaient des réfugiés politiques, des membres d’organisations populaires et paysannes, des femmes dont les maris avaient disparu dans le ‘massacre dissuasif’ des premiers moments du coup d’Etat », peut-on lire dans le livre de Robert Malval, l’année de toutes les duperies.
La presse bâillonnée
Non seulement les hommes de Cédras et de Michel François arrêtaient et tuaient les supporteurs d’Aristide, mais le droit à la parole par le biais d’une presse libre et indépendante, un des acquis majeurs de l’après 1986, était, à partir des mesures drastiques prises par les putschistes, enlevé. Ce qui explique que la presse, elle aussi, n’a pas été épargnée par les putschistes du coup d’État du 30 septembre 1991. Il y avait des attaques systématiques contre toutes stations de radios, des chaînes de télévisions et des journalistes qui diffusent des informations contraires au régime militaire. Dans les villes de province, des répressions à outrance ont été perpétrées contre des reporters dans le cadre leur travail. A Port-au-Prince, des stations commeRadio Antilles, Haïti Inter et Cacique, étaient, sur ordre des militaires, fermées.
Les raisons de cette répression
La campagne systématique de répression dont furent victimesles sympathisants du président Aristide durant les trois ans du coup d’État avait un double aspect politique. A court terme, il visait d’abord à limiter toutes formes de mobilisation que puissent entreprendre les lavalassiens pour le retour du présidenten exil. Dans le long terme, il visait aussi à casser le mouvementgrandissant du secteur populaire acquis depuis le départ de Jean-Claude Duvalier le 7 février 1986. Car le message de mobilisation des masses populaires lors des élections généralesde décembre 1990 était clair : chaque fois qu’il y aurait des consultations populaires, leur poids dans la balance politique aurait toujours à les influencer grandement.
Donc l’idée était de s’assurer que la démobilisation des têtes de pont des mouvements syndicaux, étudiants et organisations populaires pour que dans le futur ils ne puissent avoir un aussi grand rôle à jouer dans l’avenir politique en Haïti. Car leurs émergences dans les grandes décisions politiques du pays, menaçaient, en quelque sorte, les centres traditionnels de pouvoir que représentaient certaines institutions dominantes d’Haiti. Par conséquent, le secteur populaire, les associations d’étudiants, stations de radios, organisations paysannes et syndicales étaient les principaux groupes ciblés par les militaires putschistes.
Mais, vingt-neuf ans plus tard pendant que les victimes du coup d’État du 30 septembre n’ont toujours pas eu de justice, nombreux sont ceux qui ont comploté, financé et exécuté le coup contre le chef Lavalas, sont aujourd’hui des dirigeants. Vingt-neuf ans après le putsch de 1991, Haïti est plus pauvre qu’avant, elle continue d’être appauvrie davantage. ‘Wòch ki te nan solèy toujou rete nan solèy’. Jenn gason ak jenn fanm kontinye ap mouri nan Manifestasyon.
Prof. Esau Jean-Baptiste
younalot@yahoo.com