Comprendre Haïti
Chercher à comprendre Haïti, c’est d’abord traverser plus de deux siècles d’exploitation et d’ingérence de l’international dans les affaires internes de ce pays de la Caraïbe.
Et c’est aussi chercher à comprendre un peuple avec toutes les barricades que l’international et le statuquo local ont dressé depuis après l’indépendance en 1804, spécialement depuis le parricide sur Dessalines en octobre 1806.
Chercher à comprendre Haïti sur la carte internationale, c’est aussi constater, en dépit de tous les efforts des masses pour essayer de vivre dans la dignité et la liberté, la main intouchable des puissances occidentales et impérialistes est toujours là pour faire avorter leurs rêves les plus humanistes et les transformer en des cauchemars inédits.
On ne peut pas faire semblant de connaitre Haïti, si on ignore que ce soient en 2010 ou 2016, il n’y avait pas d’élections dans le pays. Mais plutôt des sélections pour imposer un ‘’chanteur dévergondé et un entrepreneur raté, inculte” pour jouer et défendre sur la carte géopolitique les intérêts mesquins du grand voisin.
Comprendre Haïti, l’ironique perle des Antilles construite sur le sang des esclaves puis devenue mère de liberté par un tour de force inimaginable de l’histoire, aujourd’hui misérable, c’est aussi comprendre ce que le professeur Visène, dans son analyse, a dégagé la part de responsabilité du système international en particulier le rôle de la France dans cette situation de pauvreté économique et spirituelle de la première République noire indépendante du monde.
Comprendre Haïti, c’est aussi comprendre ce petit pays de la Caraïbe qui, depuis après le départ de Jean Claude Duvalier le 7 février 1986 demeure instable. C’est aussi comprendre le pays le plus pauvre de l’hémisphère, selon des experts internationaux qui, de leur côté, détiennent une part non négligeable de responsabilité dans cette instabilité politique aussi bien de cette pauvreté abjecte.
Mais ce qui frappe davantage: c’est le fait que cette misère chronique soit considérée comme normale par les autorités et les gens de la classe possédante du pays. Le contraste entre ces hommes et ces femmes aisés, qui exhibent leurs richesses par leur train de vie, leurs voitures luxueuses, leurs tenues vestimentaires et leurs bijoux, et les autres qui vivent dans des bidonvilles déshumanisés où, le plus souvent, ils meurent de faim, ne peut laisser personne indifférent.
Comme Haïti est le pays de deux peuples, de deux modes de vie contrastés, donc comprendre ce pays, c’est s’informer que dans un passé récent, qu’il y avait le massacre de Piatre, de la RuelleVaillant, de La Saline, de Carrefour-feuilles, de Pont Rouge et de Bel-Air en deux occasions.
Comprendre Haïti, c’est comprendre les différentes religions et croyances des gens. C’est aussi comprendre les chants des coqs dans les mornes, les contes populaires, le carnaval etc. C’est comprendre les bons et mauvais côtés du pays puisque, par ses plages et cultures, Haïti est un pays qui fascine et surprend toujours les touristes.
Comprendre Haïti, c’est chercher aussi à comprendre la lutte des nationalistes haïtiens qui a « eu donc ses racines dans la souffrance des masses, dans leur misère économique accrue par l’impérialisme américain, et leurs luttes contre le travail forcé et la dépression. » Ce nationalisme, bien saisi par Jacques Roumain, doit encore conserver un peu de sève pour faire éclore la justice sociale face à l’obscurantisme tenace et la bêtise triomphante.
Comprendre Haïti, même dans sa situation de misère et de crasse qu’elle se trouve, c’est avoir eu la chance de goûter la cuisine haïtienne, le rhum Barbancourt, de danser le compas, de sortir avec une beauté créole d’Haïti, de parcourir les oeuvres d’un Firmin, Edmond Paul, Emile Saint Lot, Jean Price Mars, Leslie Manigat, Jacques Roumain, Jacques Stephen Alexis et d’apprécier davantage ce pays isolé, saboté et apprauvri par l’international.
Finalement, Haïti est le pays qui, par ses luttes contre l’esclavage et grandes victoires à l’encontre de l’armée expéditionnaire de Napoléon Bonaparte tout au début du 19ième siècle, a fasciné et surpris le monde. N’empêche, les grandes puissances d’alors étaient hostiles à l’indépendance d’Haïti. Depuis lors, plus de deux cents ans après la grande épopée de Vertières, avec une ingérence à outrance dans les affaires politiques du pays, encore pour le malheur d’Haïti, cette hostilité continue. Ce qui crée des handicaps et problèmes de toutes sortes au développement de la première République noire.
Face à la coalition de puissances, aujourd’hui on parle de Core Group, réunies pour garder Haiti sous contrôle, les combats au quotidien du peuple haïtien pour survivre contre les inégalités économiques, politiques et sociales imposés par une classe exploitante locale et internationale, interpellent toujours. Cet état de fait, nous le savons, ne représente pas la fin de l’histoire. Comme en 1804, la possibilité de faire l’histoire ou de la refaire, existe encore.
Prof. Esau Jean-Baptiste
younalot@yahoo.com