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République Dominicaine : De Fernandez à Abinader, continuité du mythe dominicain de l’île à l’envers

Depuis les crises électorales de 1994 qui avaient obligé le président Joaquin  Balaguer à écourter son 6e et dernier mandat présidentiel, la République Dominicaine (RD) est entrée dans un cycle vertueux d’alternance politique viable et de stabilité. En construisant sur les acquis des années Balaguer qui a lui-même conservé l’esprit modernisateur de Trujillo puis contribué davantage à diversifier l’économie dominicaine, les élites politiques dominicaines post-Balaguer, en grande partie, ont dans l’ensemble oeuvré à faire de la RD un pays stable, attirant et dynamique. Ce schémas correspond exactement à la prophétie de Balaguer de l’île à l’envers, “ la isla al revés”, laquelle projette la république dominicaine comme un pays tourné vers le progrès par opposition à une Haïti instable, chaotique, arriérée, misérable.

En réalité, le fossé qui sépare actuellement les deux pays est alarmant. Au début des années 1960, le PIB per capita des 2 pays était quasi similaire. Aujourd’hui, l’économie dominicaine est 10 fois supérieure à celle d’Haïti. La RD a donc un revenu per capita de $ US 7,000, très loin d’Haïti avec un revenu per capita de US$ 765. En outre, tandis que la RD enregistre un taux de croissance annuelle de 6% en moyenne, c’est à peine si Haïti arrive à atteindre un taux de croissance de 2%. Le commerce bilatéral est aussi largement en défaveur d’Haïti. En 2017, les dominicains ont exporté des produits vers Haïti pour un total de US $ 853 millions tandis que les importations haïtiennes vers la RD n’ont pas dépassé les US $ les 42 millions.

Cette disparité est évidente également dans les indicateurs sociaux. Le taux d’alphabétisme en Haïti est de 77% contre 92% pour la RD, le taux de mortalité infantile ( enfants de moins de 5 ans) est de 69 pour chaque 1000 naissances contre 26 pour chaque mille naissances en RD et le taux de mortalité maternelle est de 359 pour 100,000 naissances en haïti contre   92 pour 100,000 naissances en RD.

Le succès dominicain n’est pas le fruit ou le résultat d’un simple hasard. La RD, contrairement à Haïti, des années 1990 à nos jours, a dans l’ensemble choisi des leaders capables et compétents pour consolider sa transition démocratique et sa modernisation. Les responsables dominicains en général ont démontré beaucoup plus de velléité, d’intelligence, de volonté politique et de pragmatisme à adresser les problèmes de leur pays que leurs homologues haïtiens. La maturité de la société civile dominicaine l’a en fait poussé à porter au pouvoir des individus armés de bagages académiques respectables ou dotés d’une certaine expérience dans la sphère politique ou du  monde des affaires.  La scène politique dominicaine au fond  laisse très peu d’espace aux amateurs, bouffons, comédiens ou autres diseurs de bonnes aventures.

L’arrivée de Leonel Fernandez au pouvoir en 1996: une nouvelle ère de transformation de la République Dominicaine

Au moment où Fernandez arrivait au pouvoir en 1996, la RD avait besoin de sang neuf. Balaguer, certainement avait beaucoup apporté à la RD en termes de projets d’infrastructures, de diversification de l’économie et de modernisation , mais, nonagénaire, au bout de 6 mandats présidentiels, la figure gérontocratique qu’il représentait ne pouvait plus incarner le futur et la nécessité  de changement que réclamait son pays. Le jeune Leonel Fernandez, ambitieux, capable et déterminé, allait saisir cette occasion pour prendre les rênes du pays, et ceci avec même un coup de pouce de Balaguer.

Fernandez, pourtant, au moment où il entame sa première présidence en 1996, n’avait pas d’expérience politique ou administrative à proprement parler. Mais il militait au sein d’un parti politique, était un individu intelligent, intellectuellement préparé à affronter les multiples défis liés au fait de diriger un pays. En outre, il voulait simuler voire dépasser des figures telles que Juan Bosch son idole, fondateur du PLD ( Parti de la Libération Dominicaine) ou l’incontournable Balaguer, bref inscrire son nom dans l’histoire politique dominicaine comme un réformiste, un modernisateur, un chef d’Etat démocrate, éclairé et progressiste.

Les défis immédiats qui étaient posés à  son administration consistaient à engager la RD dans la voie de la croissance ou du développement durable, de la poursuite de la modernisation de la société dominicaine, et de l’institutionnalisation du processus démocratique. Il avait en fait hérité d’une situation économique désastreuse. En 1996, le taux de chômage était de 20% et la dette externe était de $ 4.3 milliards. La RD, à ce stade, était considérée comme un pays se situant dans la catégorie des pays à revenu faible et intermédiaire avec un revenu per capita à l’époque de $ 716.

Fernandez n’a pas mis beaucoup de temps à démontrer sa capacité à commencer à redresser la situation. En 1997, après environ 4 mois au pouvoir, le taux de croissance économique était de 8.2% par rapport au taux de 7.3 % en 1996. En outre, la dette extérieure de $ 3.785 milliards qu’il avait hérité de Balaguer était déjà réduite à $ 373 millions. Le déficit commercial qui était de $ 1.5 milliard en 1994 se situait en dessous de $ 940 millions en 1994. Dans la même veine, l’investissement direct étranger est passé de $ 160 millions en 1996 à $ 1.374 milliards en 1999. La RD à ce stade, affichait un taux de croissance économique de 7.3%, ce qui représentait le quadruple du taux moyen de croissance économique au niveau mondial qui était en dessous de 2% ou le triple de ce qui se faisait au niveau régional, avec un taux de 2.3 % en moyenne. La vision de Fernandez de transformation de la RD était alors en plein essor.

La débâcle  Mejía ( 2000-2004)

Les années Mejía ( 2000-2004) ne furent pas du tout radieuses et sont considérées comme des périodes de vaches maigres par rapport aux performances de son prédécesseur . Hipolito Mejía, en provenance du PRD ( Parti Révolutionnaire Dominicain), a hérité de Fernandez un taux de croissance de 11 pour cent l’an, d’un niveau d’inflation de 6% et un taux de chômage de 13%. En 2003, le taux de croissance avait connu une chute phénoménale de 1.8%. Parallèlement, le taux d’inflation avait totalement dégénéré en dépassant le taux de 131%, avec un taux de chômage de 19.7% et environ 1.2 million de personnes en situation de pauvreté.  L’intermède Mejia et du PRD fut un véritable désastre.

Echec du PLD à garder le pouvoir après 16 ans de règne ininterrompu et début du règne d’Abinader 

Fernandez reprendra le pouvoir en 2004 pour le laisser en 2012 à son compère du PLD, Danilo Medina. Cette domination du PLD de la scene politique dominicaine pendant 16 ans à  beaucoup transformé la RD, mais le parti s’est enlisé dans des scandales de corruption dont le plus spectaculaire est le scandale lié à la compagnie brésilienne de travaux publics Odebrecht et l’instrumentalisation de la justice. La société civile dominicaine s’est beaucoup mobilisée contre les problèmes de corruption qui entachent le gouvernement de Medina.

Le président élu, Luis Abinader, qui est entré en fonction ce dimanche 16 août 2020, a beaucoup capitalisé sur ce cri de la société dominicaine en promettant de changer cette situation. Bien qu’il n’a exercé aucune fonction politique auparavant, Abinader est un homme d’affaires expérimenté et de surcroît diplomé de deux Ivy League américaines, notamment Harvard et Dartmouth College. Dans ce jeu de polyarchie entre les élites politiques dominicaines, il peut y avoir quelques différences entre le règne du PLD et celui naissant du PRM ( Parti Révolutionnaire Moderne) auquel appartient Luis Abinader, mais en le choisissant, la RD vraisemblablement à choisi de continuer sur le chemin de la démocratie, de la stabilité et du développement. Les défis qui s’imposent au nouveau président consistent non seulement à tacler la corruption mais également à assurer une meilleure redistribution de la croissance dans un pays qui reste encore très inégalitaire.

Conclusion

En fait, au train où la RD poursuit sa démocratisation, sa modernisation, son développement économique, et compte tenu de la gestion inefficace d’Haïti par les pouvoirs précédents et le pouvoir en place en nous précipitant chaque jour davantage dans l’instabilité, la précarité, l’insécurité, Haïti doit se réinventer de manière à  permettre à des femmes et hommes d’Etat capables de propulser sa transformation en un pays moderne, démocratique, en marche vers le progrès ou plus de progrès comme cela se passe en RD. Le règne de l’amateurisme, de l’improvisation, du manque de vision et de la politique politicienne doit céder sa place à une nouvelle ère de leadership responsable et visionnaire chez les élites dirigeantes haïtiennes. La RD a aussi connu de piètres dirigeants comme Antonio Guzman ou Hipolito Mejía, mais elle a su largement compenser avec des leaders comme Balaguer, Fernandez ou même Danilo Medina ou se projeter dans le futur avec leur tout nouveau président élu, Luis Abinader. Haïti doit prestement commencer à apprendre à  en faire autant à travers les conjonctures qui viennent.

Joseph Wendy Alliance

alliance.joseph86@gmail.com

Le 16 août 2020. 

 

Références:

Schneider, M. Ronald. Caribbean Crusader: Leonel Fernandez and the Transformation and the Dominican Republic. Dorrance Publishing Co., Inc. Pittsburgh. 2008.

https://lenouvelliste.com/article/219826/la-republique-dominicaine-poursuit-sans-heurt-sa-transition-vers-la-democratie

https://www.lepoint.fr/monde/republique-dominicaine-une-marche-contre-la-corruption-et-l-impunite-13-08-2018-2243153_24.php

https://www.google.com/url?q=https://www.aljazeera.com/news/2020/08/luis-rodolfo-abinader-sworn-dominican-republic-president-200816203455789.html&source=gmail&ust=1597717324079000&usg=AFQjCNFlDjiyINehML1f_8fCiMCAv-dwcQ

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Lovelie Stanley NUMA

Lovelie Stanley NUMA, Journaliste Écologique et PDG Impulse WebMedias. Coordonnatrice Générale de l'association dénommée "Collectif des Journalistes Haïtiens Engagés pour l'Environnement (CoJHEE). La voix des sans-voix. Le journalisme utile c'est ma passion. Je travaille également pour des médias internationaux.