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USA/HAITI : Plus d’un siècle d’occupation

“ Le Nationalisme haïtien a eu donc ses racines dans la souffrance des masses, dans leur misère économique accrue par l’impérialisme américain, et leurs luttes contre le travail forcé et la dépossession. Quelle que fût la structure sentimentale de ces luttes, reliquat historique probable, elles ne demeurent pas moins profondément et consciemment un anti-impérialisme à base de revendications économiques: elles sont un mouvement de masses.” Jacques Roumain, Analyse Schématique 1932-1934 et autres textes scientifiques.

Comme celles de beaucoup d’autres grandes puissances, depuis plus de 150 ans, les interventions militaires des États-Unis dans le monde sont nombreuses. Dans certains cas, avec les bénédictions de l’ONU, les causes des interventions américaines sont parfois justifiées et dans d’autres, elles sont dénoncées par des nationalistes des pays occupés. Tel a été le cas de Charlemagne Péralte en 1915 qui, à travers des mouvements armés, se révoltait contre l’occupation des Marines américains en Haïti.

Il est vrai que les troubles politiques á travers le pays ont été un prétexte pour le grand voisin du nord à envahir Haïti, mais, dans la foulée, d’autres intérêts, surtout ceux du statu quo local et international pouvaient, dans une certaine mesure, justifier l’intervention américaine en 1915 : « D’ailleurs, depuis la déclaration du Président Monroe adressée au Congrès de son pays en 1823, les Américains s’étaient spécialisés à envahir soit le Mexique pour lui dérober de grandes parties de son territoire et de ses richesses naturelle10s soit les pays de l’Amérique Centrale et des Caraïbes comme le Nicaragua, la République Dominicaine. L’amendement Platt de 1901 qui a concédé à l’État américain la baie de Guantanamo à Cuba n’est pas étranger à Monroe. Celui-ci a développé sa doctrine vulgarisée sous le nom de Doctrine de Monroe en interdisant aux Européens de faire de nouvelles conquêtes dans les Amériques tout en s’abstenant de s’ingérer dans leurs affaires. C’était tacitement un premier partage du monde avant le traité de Yalta en 1945 qui régala les occidentaux de l’Afrique et l’Union soviétique sous la baguette de Staline de l’est de l’Europe. » (Alter Presse, le 16 mai 2008).

Sur cette base, le grand voisin du nord, en débarquant en Haïti le 28 juillet 1915, avait fait main basse sur le petit pays des Caraïbes. En dépit de la résistance de Charlemagne Péralte dans la ville de Léogane, le déploiement des forces américaines en Haïti s’était passé sans incident majeur dans le pays. Effectivement, Charlemagne Péralte, le commandant de cette ville du département de l’Ouest situé à quelques kilomètres de Port-au-Prince, la capitale, avait refusé de déposer les armes sans en avoir reçu l’ordre officiel des autorités haïtiennes.

Une fois au pays, comme ils le font dans tous les pays qu’ils occupent, les Marines avaient non seulement tout imposé aux Haïtiens, mais ils contrôlaient aussi toutes les richesses d’Haïti. « Les occupants ont un comportement typique partout où ils se trouvent : l’humiliation des nationaux, l’irrespect des lois du pays en question, l’accaparement manu militari de ses richesses. Les élites noires et mulâtres, le gouvernement et l’ensemble de la classe dominante, ont accueilli avec chaleur l’occupation d’après l’amiral Caperton, chef de l’opération dans une lettre au Secrétaire de la Marine. La paysannerie au contraire a résisté pendant plusieurs années avec des moyens inégaux. Elle s’est soulevée sous la direction de Charlemagne Péralte qui, après son lâche assassinat par les marines, a été remplacé par Benoît Batraville. Les Américains parmi leurs premières mesures, ont quasiment nommé leur propre Président en la personne de Sudre Dartiguenave le 12 août 1915, ont dissout en 1917 l’assemblée nationale parce que les parlementaires haïtiens refusaient de voter la nouvelle Constitution écrite par l’ancien Sous- Secrétaire de la Navy Franklin Roosevelt lui-même et nommé un Conseil d’État. En 1919, ils ont rétabli une vieille loi appelée « corvée » qui obligeait les paysans à fournir six jours de travail gratuits pour la construction et l’entretien des routes. » (Alter Presse, le 16 mai 2008).

Charlemagne Péralte, le militaire exemplaire

Avec les crises actuelles en Haïti, on peut sentir que quelque chose est en train de se planifier dans les grands laboratoires internationaux. À l’occasion, il est d’une importance capitale de ressusciter le nom de Charlemagne Péralte dont sa mort est considérée comme celle d’un martyr national.

À cause de son comportement de rebelle, une fois sa carrière militaire et administrative brisée, Charlemagne Péralte avait démissionné de l’institution et retournait dans sa ville natale de Hinche.

Entre-temps, les occupants manifestaient non seulement du racisme envers les occupés, mais aussi contrôlaient tout dans le pays. Si, à partir des avantages dont ils ont bénéficié, cette occupation plaisait à un petit groupe de nationaux, par contre, cette attitude allait soulever la consternation et l’indignation, en particulier parmi l’élite mulâtre, francophone et éduquée, particulièrement ceux-là dont les intérêts étaient lésés. Au fond il n’y avait pas eu de véritable opposition bourgeoise à l’occupation américaine, leur complicité était évidente dès le début. Jacques Roumain, en des termes lucides, exprime le comportement de la bourgeoisie locale vis-à-vis de l’occupant yankee: “La bourgeoisie haïtienne, tandis qu’on massacrait les paysans du Nord, de l’Artibonite et du Plateau Central, recevait joyeusement les chefs des assassins dans les salons de ses cercles mondains et dans ses familles. Complice consciente de l’Occupation, elle se mit à son service, rampa aux pieds des maîtres en quête de reliefs: présidence de la République, fonctions publiques! Les uns furent contentes, les autres non. Ainsi naquit une opposition bourgeoise.”

En effet, pour imposer leur contrôle, « Les États-Unis font élire un Président, le Président du Sénat Philippe Sudre Dartiguenave et signer un Traité, base légale de l’occupation, par lequel ils prennent le contrôle des douanes et de l’administration. L’administrateur américain a le pouvoir de veto sur toutes les décisions gouvernementales d’Haïti et les officiers des Marines servent dans les provinces. Ainsi, 40 % des recettes de l’État passent sous le contrôle direct des États-Unis. L’armée est dissoute au profit d’une gendarmerie, destinée à maintenir l’ordre intérieur. Les officiers sont Américains. Les institutions locales, cependant, continuent à être dirigées par les Haïtiens.»

Dans les mois qui suivirent la mise sous tutelle par les forces d’occupation, « des routes sont construites sous le système de la corvée. La réaction populaire est violente. À la fin de l’année, le pays est en état d’insurrection. »

À la tête d’un mouvement de résistance appelé les « Cacos », nom remontant aux mouvements paysans armés du XIXème siècle, Charlemagne Péralte se rebella contre les forces d’occupations américaines dans le pays. « Les paysans armés, surnommés « cacos », sont jusqu’à 40000. Leurs chefs les plus connus sont Charlemagne Péralte et Benoît Batraville qui attaquent la capitale, Port-au-Prince en octobre 1919. Charlemagne Péralte entreprend le harcèlement des forces américaines. Avec un armement limité à quelques vieux fusils et des machettes, les Cacos opposent une telle résistance que les effectifs des Marines sont augmentés, et les États-Unis en viennent à utiliser leur aviation pour contrôler le territoire et mater la guérilla. »

Chaque jour, le mouvement de résistance contre les occupants gagnait du terrain. Ainsi, avec un armement très limité composé de quelques vieux fusils et des machettes, les troupes du commandant Péralte posaient de sérieux problèmes aux Marines américains. « Après deux ans de combats, fort du soutien de la population, Charlemagne Péralte proclame un gouvernement provisoire dans le Nord d’Haïti, en 1919. »

Cependant, comme Judas l’avait fait envers Jésus le Messie de Nazareth, Charlemagne Péralte, le héros révolutionnaire, fut trahi par l’un des siens. Une fois capturé, il fut tué par les Américains le 31 octobre 1919. « Dans la nuit du 31 octobre 1919, guidé par Jean-Baptiste CONZE, un des proches de Charlemagne PERALTE, le sous-lieutenant HANNEKEN, des US Marines, infiltre le campement des Cacos, près du village de Grand-Rivière du Nord. Grimés, le visage noirci au charbon, les soldats états-uniens passent plusieurs points de contrôle, avec l’aide de CONZE (dont le nom est depuis devenu synonyme de traître en Haïti). Parvenu à 15 mètres de Charlemagne PERALTE, HANNEKEN dégaine son arme de poing et l’abat d’une balle dans le cœur. Une brève escarmouche s’ensuit, les Cacos survivant se dispersant dans la nuit. »
Puis, « un cliché du cadavre de Charlemagne Péralte, pris par les Américains, montre le corps du héros révolutionnaire attaché à une porte et accompagné du drapeau bicolore haïtien. Cette photographie est reproduite à des milliers d’exemplaires pour être distribué dans tout le pays. »

La distribution à des milliers d’exemplaires de la photo de Charlemagne Péralte sur tout le territoire avait un double aspect politique. À court terme, elle visait d’abord à limiter toute forme de mobilisation que pourraient entreprendre les paysans des Cacos contre les occupants. Dans le long terme, elle visait aussi à casser le mouvement grandissant dans la région. Le message des Marines était clair : chaque fois qu’il y aurait des leaders émergeants à la tête de ce mouvement, ils subiraient les mêmes sorts que Charlemagne Péralte. Donc, l’idée était de s’assurer de la démobilisation des têtes de ponts des mouvements de résistance contre les occupants, afin qu’ils ne puissent jouer un aussi grand rôle dans l’avenir. Car l’émergence de Charlemagne Péralte dans la lutte anti-américaine sur le terrain menaçait en quelque sorte les occupants.

Pendant la première moitié du vingtième siècle, « la mort de Charlemagne Péralte a pris pour les Haïtiens la dimension d’un martyre. Après le départ des forces américaines en 1934, le corps de Péralte fut déterré, identifié par sa mère et enterré avec les honneurs au cimetière de Cap-Haïtien. »

Puis, dans les années 80, dans des discours enflammés anti-impérialistes d’un jeune prêtre de la théologie de libération, le nom de Charlemagne Péralte fut fréquemment cité, alors que, pendant presque toute la seconde moitié du vingtième siècle, ce fut presque un silence absolu sur le nom et la mort de ce héros. Effectivement, lors des élections présidentielles de 1990, le candidat Jean-Bertrand Aristide avait ressuscité le nom de Charlemagne Péralte pour faire de ce nationaliste son cheval de bataille. Mais les circonstances dans lesquelles il fut écarté du pouvoir en 1991 et les stratégies du retour sous la protection de marines américains en 1994, allaient par la suite contribuer à désacraliser Aristide comme un vrai nationaliste à la manière de Charlemagne Peralte. De la théologie de la libération à la realpolitik qui mène à la domination, il existe tout un chemin du calvaire qui détruit le zèle même des politiciens-prophètes les plus audacieux.

Plus de cent ans après l’occupation américaine en Haïti et le combat mémorable du mouvement des Cacos contre l’occupant, non seulement les États-Unis continuent de s’immiscer dans les affaires politiques du pays, mais on ne parle presque plus de Charlemagne Péralte, ce nationaliste. Si on le fait, c’est en privé, afin de ne pas être persécuté « Charlemagne Péraltement. » Comme cela s’est passé sous l’occupation, en voyant la bourgeoisie locale récupérer le nationalisme des masses à son profit, il est important pour que les luttes populaires à vision nationaliste dans la conjoncture de crise actuelle, ne soient pas à nouveau prises d’assaut par les opportunistes des clans oligarchiques et leurs politiciens de doublure.

Prof. Esau Jean-Baptiste
younalot@yahoo.com

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Lovelie Stanley NUMA

Lovelie Stanley NUMA, Journaliste Écologique et PDG Impulse WebMedias. Coordonnatrice Générale de l'association dénommée "Collectif des Journalistes Haïtiens Engagés pour l'Environnement (CoJHEE). La voix des sans-voix. Le journalisme utile c'est ma passion. Je travaille également pour des médias internationaux.