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L’entretien du président Jovenel Moïse avec son homologue malgache sur le Covid-organics: une action diplomatique souveraine?

Le président Jovenel Moïse est souvent critiqué pour son alignement sur la politique étrangère américaine, en particulier dans la région de l’Amérique latine et des Caraïbes et spécifiquement sur le cas vénézuélien. En janvier 2019 par exemple, lors de la réunion du Conseil permanent de l’Organisation des Etats Américains (OEA), Haïti, sous influence américaine, avait choisi de voter contre le Vénézuéla, appuyant du coup la décision du Conseil de “ ne pas reconnaître la légitimité du nouveau mandat de Nicolas Maduro à compter du 10 janvier 2019.” En effet, le président Jovenel Moïse s’appuie largement sur les américains pour rester au pouvoir.

Pourtant, il a pris récemment, le 19 mai dernier, la décision de solliciter l’appui du président malgache Andry Rajoelina pour lutter contre le nouveau coronavirus. Son entretien vidéo circulant sur les réseaux sociaux, a en effet causé beaucoup de réactions du public, très centrées en grande partie sur les aspects du protocole. Quel est au fond le sens d’une telle action diplomatique? Est-ce un acte diplomatique souverain pour un État aussi dépendant qu’Haïti ou un gouvernement qui traditionnellement semble conditionner son destin politique à ses efforts pour rester dans les bonnes grâces de Washington?

Le protocole: un outil stratégique pour harmoniser les échanges au niveau international à ne pas négliger

Il y eut beaucoup de critiques, pour la plupart très fondées, sur le protocole. Dans l’extrait vidéo dudit entretien, on a pu remarquer d’emblée que la posture du président est très inclinée vers l’arrière. Cette posture, contrairement au président malgache qui maintenait une position assise droite, a transmis le message qu’il n’est pas assez engagé dans la discussion avec son homologue ou même a signalé un manque de respect par rapport à ce dernier. Or, en matière de relations diplomatiques, le protocole ne relève pas d’une simple formalité, mais sert à harmoniser respectueusement et efficacement les relations entre les Etats. Sur le site de l’Institut Libre d’Etude des Relations Internationales (ILERI), le protocole est défini comme “ un corps d’usages essentiels qui aide [les Etats] à réguler de façon aussi harmonieuse que possible les rencontres, les visites, les commémorations et célébrations officielles ainsi que les repas et réceptions qui y sont associés.”

À propos du protocole, il y est aussi spécifié ceci: “ Fait de rigueur et d’adaptabilité, le protocole a pour finalité essentielle de rendre la relation plus simple en la codifiant. Il s’agit d’éviter le désordre et de froisser les susceptibilités souveraines, toujours incommodes dans le travail international.” Ceci dit, tout Etat ou tout officiel qui se respecte considère le protocole comme une affaire sérieuse et évite d’afficher de la négligence en la matière. Le général Charles de Gaulle par exemple considérait le protocole comme “ l’ordre de la république” et un certain Louis XVI avait longtemps déjà averti de ceci: “ ceux-là s’abusent lourdement qui s’imaginent que ce ne sont là que des affaires de cérémonie.”

D’un autre côté, le président Jovenel Moïse semblait aussi trop dépendant du papier dans lequel il semblait reprendre trop textuellement ce qui y est inscrit. Il est vrai que dans les rencontres en général, les officiels disposent souvent d’un document , un briefing pour leur permettre de suivre presque littéralement l’agenda adopté, mais la capacité de démontrer, sans avoir les yeux rivés sur un document, une maîtrise des points de discussion inscrits dans l’agenda reste la marque de fabrique d’un leader préparé, bien imbu des dossiers à discuter ou négocier. Cet épisode fait planer des doutes sur la capacité du président de la république à engager des discussions fructueuses et cohérentes avec ses homologues ou d’autres représentants de la communauté internationale dans les différents cadres d’échanges auxquels il a eu ou aura à participer ou à diriger et par conséquent à bien articuler ou bien défendre les intérêts d’Haïti.

Une action diplomatique importante malgré les bavures de protocole

Toutefois, en dépit des entorses graves portées au protocole, l’action diplomatique menée par le président en choisissant de s’entretenir avec le président malgache autour du Covid organics utilisé par le Madagascar comme moyen pour guérir ou prévenir le coronavirus revêt de la signification. La crise du coronavirus a provoqué des changements en matière de géopolitique ou de coopération internationale. La diplomatie sanitaire cubaine constitue l’un des exemples les plus marquants de cette diplomatie de crise en porte-à-faux par rapport à la configuration des relations entre les différents blocs géopolitiques en temps “normal”. Ainsi, on a vu Cuba prêter main forte à l’Italie à un moment où le pays, épicentre de la pandémie en Europe, avait sollicité en vain plus de soutien de l’Union Européenne dont il est pourtant membre pour faire face à la pandémie. La discussion haïtiano-malgache s’inscrit également dans le cadre de ces revirements pour l’instant temporaires dans l’ordre géopolitique ou le système de la coopération internationale provoqué par la pandémie.

Dans la logique de l’influence de la diplomatie américaine, la tendance haïtienne serait de faire écho à la position américaine sur le remède malgache. Les pays occidentaux, l’Europe et les Etats-Unis, enivrés d’hubris, sont rentrés dans un jeu de banalisation du Covid organics. Même l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) refusait de valoriser le Covid Organics jusqu’au tout récent revirement où l’organisation à enfin félicité les efforts malgaches contre la pandémie. Cette attitude dans l’ensemble reflète la perception occidentale de l’Afrique comme un continent subalterne, à la traîne de l’Occident infatué de supériorité économique et militaire, ou comme blasphémait Nicolas Sarkozy dans son discours de Dakar en 2007, comme un continent qui n’est pas assez “entré dans l’histoire”.

En discutant avec le président malgache, malgré les bavures de protocole à ne plus répéter, le président Jovenel a posé un acte diplomatique courageux digne d’un Etat qui se rappelle qu’il lui reste encore des marges de souveraineté malgré sa faiblesse et la persistance de la tutelle américaine. L’objectif de l’entretien pour le moment est atteint puisque le président malgache lui-même s’est dit satisfait de l’échange tout en agréant aux demandes du président Jovenel de créer une collaboration entre la cellule scientifique haïtienne et les scientifiques malgaches et de mettre le Covid Organics à la disposition d’Haïti.

Cette démarche constitue donc un pas positif pour le pays dans la réponse face à la pandémie. Maintenant, il s’agit pour la diplomatie haïtienne de faire le suivi nécessaire pour que cet échange puisse avoir des retombées concrètes en faveur de la population à un moment où les cas de coronavirus commencent à augmenter sérieusement dans le pays et où le gouvernement se trouve contraint de renouveler l’état d’urgence sanitaire jusqu’au mois de juillet 2020. Ce qui est encore plus important de souligner, c’est que la diplomatie haïtienne, quand elle ne se résume pas à une sorte de diplomatie servile, peut vraiment être utile au pays et faire avancer les intérêts d’Haïti au Nord comme au Sud.

 

Joseph Wendy Alliance
alliance.joseph86@gmail.com

Références

1) https://www.juno7.ht/covid-19-madagascar-promet-son-remede-a-haiti/
2) https://www.juno7.ht/gouvernement-renouvelle-etat-durgence-sanitaire-mois/
3) https://www.ileri.fr/protocole-relations-diplomatiques/
4) https://www.huffingtonpost.fr/marie-darrieussecq/le-discours-de-dakar-une-_b_1387360.html
5) https://www.lenouvelliste.com/article/216304/le-madagascar-va-envoyer-le-covid-organics-en-haiti-pour-lutter-contre-le-coronavirus
6) https://www.youtube.com/watch?v=TrQAKAJnLsU

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Lovelie Stanley NUMA

Lovelie Stanley NUMA, Journaliste Écologique et PDG Impulse WebMedias. Coordonnatrice Générale de l'association dénommée "Collectif des Journalistes Haïtiens Engagés pour l'Environnement (CoJHEE). La voix des sans-voix. Le journalisme utile c'est ma passion. Je travaille également pour des médias internationaux.