ÉDITORIAL

Haïti: un abattoir humain à ciel ouvert!

Alors qu’Haïti s’enlise profondément dans une crise socio-économique et politique, le pays offre aujourd’hui, l’image affreuse d’un véritable abattoir à ciel ouvert. Un abattoir est, par définition, “un établissement consacré à l’abattage des animaux destinés à la consommation.” En Haïti, les abattoirs sont connus pour être des endroits crasseux, mal ou pas entretenus du tout et surtout abjects. C’est tout le contraire de ce qu’est un abattoir digne de ce nom. “Un abattoir a pour but, en vérité, de permettre le contrôle de la qualité des viandes, de prévenir les dangers liés à l’abattage des animaux et de garantir la salubrité publique par la concentration en un même lieu des activités de surveillance et de propreté.”

En Haïti, ce sont ceux qui sont sensés protéger les citoyens qui se sont associés à des bandes de malfrats dressés pour commettre les crimes les plus abominables qui transforment le pays en un véritable abattoir à ciel ouvert. Et dans ce vaste abattoir tout aussi mal entretenu, ce ne sont pas des animaux qu’on abat, mais des êtres humains. Cela se fait sur une base quasi quotidienne. Jusque-là, c’est la seule réponse proposée aux demandes de justice, de meilleures conditions de vie et surtout d’un changement de système qu’exige un peuple soumis au désespoir social et à toutes sortes de calamités dont la seule faute, c’est d’avoir osé dire non aux inégalités devenues exceptionnellement trop criantes et insupportables. Évidemment, les bouchers, c’est-à-dire, les partisans du statu quo, sont prêts à tout pour abattre quiconque ose revendiquer le changement. Les haïtiens ne sont pas des moutons, des bœufs ou des cabris, pourtant ils se font massacrer brutalement chaque fois qu’ils revendiquent leurs droits naturels et constitutionnels…

Le phénomène n’est pas nouveau, mais il prend depuis quelques temps une ampleur inquiétante. En fait, il ne se passe un jour sans qu’on ait à déplorer des pertes en vie humaine dans ce pays où les gangs prolifèrent de manière exponentielle et particulièrement inquiétante. La caravane de la mort est lancée à vive allure et continue de broyer des vies sans arrêt et dans l’indifférence totale des “autorités” qui ne font que constater les dégâts, leurs dégâts. Celles-ci se montrent plus préoccupées par leur sécurité que celle de la population, les pauvres contribuables les paient, mais qui, en retour n’ont droit même aux services de base. Ces autorités très spéciales ne se soucient que de leur confort matériel et personnel.

Selon un rapport partiel du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) au moins 478 personnes ont été assassinées de Janvier à novembre 2019. Il s’agit de morts violentes, les victimes ont, pour la plupart, été assassinées par balles et certaines à l’arme blanche. Pas moins de 42 personnes ont été assassinées de juillet à novembre 2019, lors des manifestations antigouvernementales. Les victimes ont toutes reçu des projectiles à la tête, souligne le RNDDH. Ce ne sont pas des balles perdues. Ce sont des tirs de précision. Ce serait l’œuvre de bouchers professionnels. L’organisme des droits humains indique également qu’au moins 44 policiers ont été assassinés de Janvier à nos jours. C’est un lourd bilan de la violence voulue et planifiée, dirait-on, qui s’abat sur le pays.

On assiste, depuis quelques temps, à une remontée spectaculaire du phénomène de l’insécurité et à des crimes abominables commis en plein jour sous les regards des passants ou pendant la nuit. Certains crimes sont peut-être imputables au banditisme social. D’autres revêtent un caractère politique. Autrement dit, il y en a qui sont des crimes d’Etat. Il y aurait même une opération d’élimination ciblée d’éléments jugés trop engagés dans le combat pour un changement de système. Il y’a aussi des crimes qu’il faut mettre sur le compte des règlements de compte entre individus qui s’entretuent, sachant qu’ils jouiront de l’impunité érigée en système. C’est donc une situation qui atteste bien le degré de violence physique qui, parallèlement à la violence structurelle et psychologique, affecte la société haïtienne.

Certains crimes sont parfois commis par des agents de la force publique transformés en bouchers ou par des gangs armés jouissant du soutien de hautes autorités de l’Etat. Dans certains cas, ces gangs seraient liés, dit-on, au pouvoir politique très contesté qui leur aurait fourni des armes, des munitions et de l’argent pour exécuter de sales besognes, notamment dans les quartiers défavorisés,
après avoir été ensauvagés par des délinquants politiques.

Condamnés à la misère et à la privation et, surtout abonnés au malheur, ces jeunes sont transformés en petits monstres sanguinaires pour commettre toutes sortes d’exactions sur les masses défavorisées. Malgré la campagne de répression sauvage et aveugle qui s’abat sur le pays, comme si les bouchers locaux n’abattaient pas assez d’haïtiens, on fait venir des mercenaires, d’autres bouchers plus perfectionnés aux crimes odieux pour mieux faire le travail. Jouissant du soutien de puissances étrangères qui ont toujours mené une politique raciste et discriminatoire à l’égard d’Haïti, les bouchers haïtiens se croient autorisés de tuer à volonté, impunément. Ils pensent pas qu’ils pourront être rattrapés un jour ou l’autre par les crimes qu’ils ont commis ou commandités…

Dans un pays où on ne respecte ni la vie ni la dignité humaine et que l’être humain est de plus en plus déshumanisé, il est évident que des malfrats qui bénéficient du soutien de puissances étrangères se croient autorisés de transformer la cité en charcuterie. Ignorent-ils qu’avant eux, d’autres sanguinaires ont commis, avec le soutien de puissances étrangères, autant de crimes pour se maintenir au pouvoir et ont dû céder à la révolte populaire? Déjà, dénombre des victimes un peu partout à travers le pays.

Quand les victimes sont de la police, leurs corps traînent sur le pavé pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours dans certains cas. Quand ce sont les bandits protégés par des délinquants bien souchés dans l’Etat qui opèrent, ils font comme dans un abattoir. Ils abattent, découpent leurs proies en morceaux, les brûlent et en mangent certaines fois. Généralement, ces scènes sont filmées et diffusées sur les réseaux sociaux. Il est même rapporté que certains gangs opérant dans la région métropolitaine de Port-au-Prince, disposeraient de foyers, sortes d’incinérateurs servant à brûler les corps de leurs victimes pour ne pas laisser de trace. Des proches des victimes du massacre de la Saline (13 Novembre 2018) en ont fait état à plusieurs reprises dans les médias haïtiens.

Chaque fois que l’on parle d’un abattoir, on fait référence automatiquement à un lieu de cruauté où on abat massivement des animaux pour pourvoir aux besoins en protéines des consommateurs de la viande. Cependant, il faut noter que tous les animaux ne sont pas nécessairement destinés à la consommation. On n’a abat pas tous les animaux. Dans certains pays développés comme l’Allemagne, la France, le Canada et les États-Unis, il existe des lois sur la protection des animaux. Autrement dit, il y a un certain respect pour la vie des animaux. Dans ces pays, les animaux de compagnie sont aussi protégés que les humains. Le traitement accordé à ces animaux est de loin bien meilleur à celui infligé aux haïtiens par leurs dirigeants.

Dans l’abattoir d’Haïti, on semble ne pas faire trop de différence entre les humains et les animaux. On ne fait pas de tri. Hommes, femmes et enfants, journalistes, policiers; tous subissent le même sort. Triste constat! La réalité est que l’on massacre des êtres humains dans l’indifférence absolue de ceux qui sont chargés de leur protection et parfois avec la complicité ou sur ordre de ces derniers. Des meurtres, des massacres sont commis, mais il n’y a jamais de suivi judiciaire. Souvent, les auteurs des massacres, reçoivent de la logistique d’officiels du gouvernement et sont encadrés par des agents de l’ordre pour commettre leurs forfaits. Ce fut le cas dans le cadre du massacre de la Saline, selon les rapports d’enquête des différents organismes de défense des droits humains.

Autrefois, lorsqu’un crime était commis, les dirigeants d’alors avaient l’audace et un semblant de scrupule pour annoncer une enquête, même si elle n’aboutirait jamais. Tout le monde connaît la formule: “L’enquête se poursuit.” L’impunité et l’injustice étant érigés en système, de nos jours on parle d’enquête rarement et de manière dédaigneuse et sélective. A cela s’ajoute une fâcheuse tendance consistant à banaliser la vie et la mort.

En effet, ceux qui devraient protéger la population se transforment en véritables bouchers plus impitoyables que ceux des abattoirs ordinaires pour l’abattre chaque fois qu’elle se rebelle contre ses conditions de vie trop grabataires. Et ils disposent d’un outil idéologique pour minimiser dans l’opinion publique l’ampleur de leur barbarie exercée contre un peuple sans défense. Tout cela arrive dans un contexte où l’on est en train de passer lentement, mais certainement d’un régime répressif à un régime de terreur. Ça passe donc du banditisme à la terreur d’Etat. Ce n’est plus une tendance ni un réflexe, mais une réalité quasiment incontestable. Et cela participe de la mise en œuvre d’un projet politique dont la finalité n’est autre que l’instauration d’une dictature dans le pays. Ce projet est patronné par des puissances moralisatrices et donneuses de leçon démocratique.

Francklyn B Geffrard
14 Décembre 2019

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Lovelie Stanley NUMA

Lovelie Stanley NUMA, Journaliste Écologique et PDG Impulse WebMedias. Coordonnatrice Générale de l'association dénommée "Collectif des Journalistes Haïtiens Engagés pour l'Environnement (CoJHEE). La voix des sans-voix. Le journalisme utile c'est ma passion. Je travaille également pour des médias internationaux.