Climat: Une mauvaise nouvelle de 6000 ans
ENVIRONNEMENT
Les modèles de climat qui nous promettent le changement climatique le plus fort ont raison. C’est la conclusion d’une équipe de chercheurs de Corée du Sud et des Etats-Unis dans un article (1) paru hier dans la revue Sciences Advances. Une conclusion venue… du nord et du passé.
L’équipe s’est penchée sur une période clef de l’histoire climatique de la Terre, susceptible de nous aider à anticiper et bousculés par nos émissions de gaz à effet de serre. Elle se déroule, il y a 9 000 à 5 000 ans et son nom de baptême scientifique est « l’optimum Holocène ». Durant cette période, les relations entre le Soleil et la Terre provoquent une insolation particulièrement forte des hautes latitudes nord durant l’été de l’hémisphère nord. Les raisons ?
Une inclinaison de la Terre, un peu plus élevée qu’aujourd’hui (24°) et surtout un passage au périhélie de son orbite (le moment où la planète est au plus près du Soleil sur un an) pile au moment de l’été de l’hémisphère nord. Bien sûr, cette insolation maximale à son pendant obligatoire : celle de l’hiver de l’hémisphère nord est minimale, notamment parce que la Terre est à son aphélie (le moment où elle est le plus loin du Soleil) durant cette période. Mais cette balance d’apparence équilibrée produit-elle un bilan climatiquement nul sur l’ensemble de l’année et de la période climatique ?
Non, disent les auteurs qui s’appuient sur des séries de pollens et qui montrent selon eux que l’élévation de la température pour les latitudes de 30°N à 90°N ne se lit pas seulement durant l’été. Les spécialistes ont baptisé ce phénomène «l’amplification arctique». Mais quels sont les mécanismes climatiques qui l’expliquent ?
L’équipe de climatologues a repris le problème en utilisant des données paléoclimatiques (des pollens) et une série de simulations numériques du climat de cette période (il y a 6000 ans) comparées au climat actuel (du moins avant la perturbation par nos émissions de gaz à effet de serre, donc le climat d’avant la Révolution industrielle, vers 1750). Des données qui suggèrent que les terres émergées au nord du 30°N étaient un peu plus chaudes que la période pré-industrielle en moyenne sur l’année entière et non seulement durant l’été. Mais quelle en est la cause ?
Pour les auteurs de l’article, le mécanisme dominant est celui de la rétraction de la banquise. La fonte estivale est tellement boostée par ces étés chauds que la rétraction des glaces de mer se poursuit durant l’hiver. La température de l’air chute, bien sûr, mais l’inertie thermique d’un océan qui accumule la chaleur durant tout l’été lui permet d’y résister. Du coup, la banquise hivernale ne serait pas aussi étendue que, par exemple, au début du 20ème siècle (au 14 août 2019, la surface de la banquise – l’aire de l’océan où au moins 15% de la surface est couverte de glaces – ne faisait plus que 5,04 millions de km² contre environ 8 millions de km² à la même date au début des années 1980).
Une affirmation qui repose… sur les simulations numériques car il n’existe pas vraiment d’enregistrements paléo-climatiques qui permettraient de s’assurer de l’étendue de la banquise à l’époque durant les différentes saisons.
Les auteurs estiment que, parmi les 13 modèles différents utilisés, ceux qui simulent le mieux les températures suggérées par les données sont ceux qui simulent l’amplification arctique avec le plus de force, notamment une rétraction très forte de la banquise. Ils estiment être parvenus à séparer l’effet de l’insolation de l’effet des rétroactions climatiques liées à la diminution de la surface de la banquise, montrant que ces dernières sont prédominantes :
En revanche, à l’échelle planétaire, l’écart de température entre l’optimum Holocène et la période climatique d’avant la Révolution industrielle est très faible, car les tropiques ne montrent pas de réchauffement, elles sont mêmes plus froides.
Mais l’intérêt de cette recherche ne se limite pas au passé. Pour ses auteurs, elle comporte un avertissement pour le futur. Puisque ce sont les modèles qui simulent le mieux l’amplification arctiquee liée à la rétraction de la banquise dans le passé. Il y a de fortes chances pour que ce soit les mêmes qui simulent le mieux le futur. Une conviction fondée sur le passé récent puisque la rétraction de la banquise depuis 1980 a dépassé les prévisions les plus pessimistes.
Parmi les modèles, il faudrait donc faire plus confiance à ceux qui prévoient une rétraction plus forte de la banquise arctique. Une conclusion qui semble logique. Masa Kageyama (Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement) souligne que c’est la première fois que cet aspect est étudié systématiquement à partir d’un ensembles de simulations effectuées avec différents modèles. Mais Olivier Boucher, directeur de recherche au CNRS, spécialiste es-modèles numérique du climat au Laboratoire de météorologie dynamique (Institut Pierre Simon Laplace) nuance ce point de vue.
Certes, l’amplification arctique et la rétraction de la banquise jouent un rôle dans le changement climatique planétaire, admet-il, et de ce point de vue, l’affirmation des auteurs lui semble juste. Mais d’autres rétroactions – comme l’augmentation de la vapeur d’eau contenue dans l’atmosphère ou les nuages – sont plus importants à cette échelle globale. Et le lien entre amplification arctique plus forte et une sensibilité plus forte des modèles à l’augmentation de la teneur en CO2 lui semble à confirmer. Surtout que la mesure de l’étendue de la banquise à cette époque lointaine est plus un résultat de simulations numériques qu’une données paléo-climatique.
Cette recherche vient au moment où 40 chercheurs spécialistes de la cryosphère lancent un appel pour souligner les conséquences du réchauffement sur cette dernière. Ils craignent notamment la quasi disparition de la banquise à la fin de l’été, chaque année, si l’on arrive à 2°C de réchauffement planétaire moyen par rapport à la situation pré-industrielle.
Esaüe Joachim
IMPULSE WEBMÉDIAS
Source: Le Monde