En Egypte, un jeune vidéaste meurt en prison après plus de deux ans de détention
Shady Habash, 24 ans, avait été arrêté en mars 2018 pour avoir réalisé le clip d’une chanson critiquant le président Abdel Fattah al-Sissi.
Shady Habash n’avait que 24 ans. Le vidéaste égyptien avait été arrêté en mars 2018 pour avoir réalisé le vidéoclip d’une chanson critiquant le président Abdel Fattah al-Sissi. Comme des milliers d’autres jeunes de son âge, militants politiques ou simples voix critiques du pouvoir, il avait été placé en détention préventive après son inculpation pour « diffusion de fausses nouvelles » et « appartenance à une organisation illégale ». Depuis plus de deux ans, le jeune homme croupissait dans une cellule de la prison de haute sécurité de Tora, au Caire, dans l’attente de son procès. Il y est mort, samedi 2 mai, au terme d’une nuit d’agonie.
« Cela faisait quelques jours que son état de santé se détériorait […] Il a été hospitalisé puis il est revenu [vendredi] soir en prison, où il est mort dans la nuit », a précisé son avocat, Ahmed el-Khawag, à l’AFP, sans être en mesure de donner les raisons du décès. Certains de ses codétenus ont confié à des proches avoir alerté les gardiens de la dégradation de l’état de santé du jeune homme – en vain. Dans une lettre écrite en octobre et que ses amis ont publiée après sa mort, Shady Habash disait son désespoir. « La prison ne tue pas, la solitude oui », écrivait-il. Ni ses proches ni son avocat n’ont pu lui rendre visite depuis le 10 mars et la mise en place de mesures de précaution dans les prisons face à l’épidémie liée au coronavirus.
Chanteur en exil, parolier en prison
Shady Habash avait été arrêté après avoir réalisé le clip de la chanson « Balaha », interprétée par le chanteur de rock Ramy Essam. Celui-ci y critique vertement « M. Balaha », surnom dont le président Sissi est affublé par ses détracteurs, en référence au personnage célèbre d’un film égyptien, menteur notoire. Le chanteur, qui s’était notamment fait connaître pendant la révolution de 2011 contre l’ancien raïs Hosni Moubarak, vit en exil en Suède. Le parolier de la chanson, Galal el-Behairy, avait lui aussi été arrêté, en mars 2018, après que le clip fut devenu viral sur les réseaux sociaux – plus de 5 millions de vues sur YouTube. Il a été condamné à trois ans de prison par un tribunal militaire pour « insulte aux forces de sécurité » et « diffusion de fausses nouvelles »
Dans un appel diffusé lundi 4 mai par l’Institut du Caire pour l’étude des droits humains (CIHRS), neuf organisations égyptiennes et arabes estiment que la mort de Shady Habash – la troisième en dix mois parmi les prisonniers de conscience du quartier n° 4 de la prison de Tora – est « un acte d’accusation flagrant contre le système judiciaire égyptien ». « Au cours des sept dernières années, [ce dernier] a usé, de façon routinière, de la détention provisoire et des négligences médicales pour exercer des représailles contre les détracteurs ou les opposants au gouvernement du président Abdel Fattah al-Sissi », pointent ces organisations qui épinglent régulièrement les conditions de détention inhumaines dans les prisons égyptiennes. Dans un tweet publié samedi, Bahey Eldin Hassan, le directeur du CIHRS, a jugé que le président Sissi a une « responsabilité directe » dans l’emprisonnement de Shady Habash.
Plus de 60 000 prisonniers politiques
Depuis l’apparition du coronavirus en Egypte (6 465 cas et 429 morts au 4 mai) et l’interdiction des visites aux parloirs, les familles et les défenseurs des droits appellent à la libération des détenus les plus vulnérables, des prisonniers politiques et de ceux placés en détention préventive. Selon les estimations des ONG, plus de 60 000 prisonniers politiques (opposants islamistes ou libéraux, cibles de la répression qui fait rage depuis l’arrivée au pouvoir de l’armée en 2013) croupissent dans les geôles égyptiennes, surpeuplées.
Parmi les milliers d’Egyptiens détenus arbitrairement dans l’attente de leur procès se trouvent notamment la journaliste Solafa Magdy et son mari, le photographe Hossam el-Sayyad, dont les proches ont de nouveau appelé lundi à la libération. Le couple, parent d’un garçon de 6 ans, avait été arrêté en novembre 2019 avec le journaliste Mohamed Salah, sans que leur soit donnée une justification. Tous trois ont été inculpés d’« appartenance à une organisation terroriste ». L’accusation de « diffusion de fausses nouvelles » a également été portée contre Mme Magdy, dont la famille est sans nouvelles depuis le 9 mars.
Le cas de la journaliste égyptienne a été mis en lumière par le quotidien américain The Washington Post, avec ceux de quatre autres journalistes, dans le cadre de sa campagne annuelle pour la liberté de la presse, lancée fin avril. Son mari partageait quant à lui la cellule dans laquelle Shady Habash a trouvé la mort samedi.
Emmanuel NOËL
Source: Le Monde