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Les mains qui font briller : La vie des cireurs de bottes à l’Arcahaie, entre dignité et dévalorisation

À l’Arcahaie, une ville située au nord de Port-au-Prince, le métier de cireur de bottes communément appelé « Chany » chez nous est une activité économique à la fois visible et discrète. Ce métier, exercé principalement par des jeunes hommes et des adultes, est souvent perçu comme une occupation marginale. Cependant, il offre une source de revenus régulière à ceux qui s’y consacrent, malgré le stigmate social associé à cette profession. Ce dossier explore les réalités économiques et sociales des cireurs de bottes à l’Arcahaie, avec des témoignages pour illustrer la complexité de cette occupation.

Le métier de cireur de bottes à l’Arcahaie est un exemple de la dynamique économique informelle qui prévaut en Haïti. Dans une ville où le taux de chômage est élevé, cette activité devient une solution viable pour de nombreux jeunes et adultes qui n’ont pas eu la chance de bénéficier d’une éducation formelle ou de trouver un emploi stable. Chaque pair de chaussures nettoyé rapporte environ 50 gourdes, et plus selon la générosité du client et la qualité du service. Jean-Louis, un jeune cireur de bottes de 24 ans, explique : “Être cireur de bottes, ce n’est pas ce que j’ai rêvé de faire, mais cela me permet de gagner de l’argent tous les jours. Je peux gagner entre 1000 et 1500 gourdes par jour, en fonction du nombre de clients. Cela m’aide à subvenir aux besoins de ma famille et à mettre un peu d’argent de côté pour le futur. Ce n’est pas facile, mais c’est un travail honnête.”

Malgré les difficultés et les perceptions négatives, être cireur de bottes « chany » peut être assez rentable pour ceux qui maîtrisent bien leur art et établissent une clientèle fidèle. Avec des coûts de démarrage relativement faibles (une boîte de cirage, quelques brosses et chiffons), le métier offre un retour sur investissement rapide. Les clients réguliers, notamment les employés de bureau, les commerçants, et même certains touristes de passage, peuvent représenter une source stable de revenus. Marc-Antoine, qui a commencé comme cireur de bottes il y a dix ans, partage ses expériences : “J’ai commencé comme cireur de bottes il y a dix ans. Grâce à ce métier, j’ai pu économiser assez pour ouvrir une petite épicerie aujourd’hui. C’est un métier que certains regardent de haut, mais il m’a appris l’humilité et la valeur du travail. Chaque sou que je gagne aujourd’hui, je le dois à mes débuts comme cireur de bottes.”

Cependant, le métier de cireur de bottes à l’Arcahaie est souvent perçu de manière négative. Beaucoup de cireurs subissent des regards condescendants, voire méprisants, de la part de la société. Le contact direct avec les chaussures des clients, la posture souvent accroupie et les conditions de travail parfois précaires sont autant d’éléments qui contribuent à l’image d’un métier humiliant. Les cireurs de bottes sont souvent invisibles, ignorés par ceux qui bénéficient de leurs services. Stéphanie, la sœur d’un cireur de bottes, témoigne : “Mon frère est cireur de bottes et chaque jour, je vois combien il souffre des regards des autres. Les gens le traitent comme s’il n’était rien, juste parce qu’il touche leurs chaussures. Il rentre souvent à la maison avec un sourire, mais je sais qu’au fond de lui, il a honte. C’est un métier que personne ne voudrait faire, mais il le fait pour nous.”

Les cireurs de bottes font face à de nombreux défis. Outre le manque de reconnaissance sociale, ils travaillent souvent de longues heures sous le soleil ou la pluie sans protection adéquate. Les revenus peuvent être irréguliers, et certains jours, ils rentrent chez eux les poches vides. De plus, l’absence d’organisation professionnelle ou de syndicat signifie qu’ils n’ont pas de voix collective pour défendre leurs droits ou améliorer leurs conditions de travail. Rodrigue, un cireur de bottes de 28 ans, décrit les difficultés : “Parfois, je me demande pourquoi je continue. On travaille sous le soleil brûlant ou sous la pluie, et il n’y a pas de garantie de revenus. Certaines fois , je ne gagne rien. Les gens ne respectent pas ce que nous faisons. Ils pensent que nous sommes paresseux ou sans ambition, mais ils ne connaissent pas nos histoires.”

Le métier de cireur de bottes à l’Arcahaie incarne à la fois la résilience et la souffrance. D’un côté, il offre un moyen de subsistance à ceux qui n’ont pas d’autres options ; de l’autre, il reste imprégné d’une image négative et humiliante. Ce dossier montre la complexité de cette réalité, où chaque cireur de bottes se bat pour sa dignité tout en cherchant à améliorer sa condition de vie.

Pour améliorer leurs conditions de travail et négocier de meilleures opportunités économiques, il serait bénéfique de créer une coopérative ou un syndicat. Des campagnes de sensibilisation pourraient également aider à changer la perception sociale du métier de cireur de bottes et promouvoir le respect de tous les types de travail. Enfin, des programmes de formation et de transition professionnelle permettraient aux cireurs de bottes qui le souhaitent de se former à d’autres métiers et d’élargir leurs perspectives économiques.

Chaque cireur de bottes porte en lui une histoire de courage et de persévérance, rappelant à tous que la dignité ne dépend pas du métier que l’on exerce, mais de la façon dont on le fait.

pascalfleuristil2018@gmail.com

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Pascal Fleuristil

Je suis Pascal Fleuristil, originaire de l'Arcahaie. J'ai étudié la communication à l'ISNAC. Passionné du journalisme, j'intéresse à tous les sujets d'intérêt général.