Les noirs débarquent
Jusqu’avant la Résolution 2699 du Conseil de Sécurité des Nations-unies le lundi 2 octobre de l’année dernière autorisant la rentrée d’une force multinationale composée de soldats noirs, c’étaient surtout les blancs qui débarquaient en Haïti et plus tard des asiatiques ou latino-américains avec les forces de la MINUSTAH. Probablement, c’était cette pratique du monopole d’ingérence caucasienne dans les affaires d’Haïti qui avait inspiré l’auteur Roger Gaillard à écrire et publier en 1981, son livre: Les blancs débarquent.
Si le professeur vivait encore aujourd’hui, il aurait, pendant les trente dernières années, pu écrire plusieurs tomes de livres à ce sujet. Possiblement l’un de ses titres serait: les débarquements interminables. Puisque dans l’ère d’une transition qui n’en finit pas ou d’une démocratie sans démocrates, les blancs débarquaient si souvent au point qu’on arrive même à oublier combien de fois qu’ils avaient ignominieusement foulé la terre sacrée de Dessalines et de nos grands ancêtres.
Bien sûr qu’il y avait eu le débarquement de 1915 qui avait durée 19 ans (1915-1934). Le choc de l’occupation américaine dont les effets post-sismiques continuent de provoquer des ondes de choc dans le système décisionnel du pays. Et depuis lors, dans le processus du maintien de la dépendance qui consiste à gouverner par le chaos, c’était aussi le cas en 1994. Puis en 2004, au moment de la célébration du bi-centenaire de l’indépendance. Tout en forçant un président populaire, démocratiquement élu, à quitter le pouvoir, sous une forme de couleurs plus nuancés de blancs, noirs et de jaunes, c’était le même cas de figure, débarquement.
Du fait de leur mentalité raciste et de position dominante sur l’échiquier géopolitique international, ces colons du temps moderne, dans leur justification néocoloniale d’envoyer des troupes en Haïti dont eux-seuls savent comment en tirer les profits, décrivent toujours leur débarquement comme une sorte de mission salvatrice pour le pays.
Par exemple, sur la base de leur influence dans des élections frauduleuses et toutes autres formes de combines politiques, la mission salvatrice de 2004 passait plus de dix ans à miner Haïti. A leur départ, cette mission qui était rentrée pour stabiliser Haïti avait laissé le pays beaucoup plus déstabilisé qu’avant.
C’était toujours ainsi. Plus ça change, plus c’est la même chose. Il y a constamment cette main étrangère dans le malheur infiniment grand d’Haïti qui, continuellement, jette de la gazoline au feu de déstabilisation pour, sous le couvert apparent d’assistance à pays en danger, ordonner et coordonner à nouveau l’envoi de troupes et causer encore plus de mal qu’avant.
Et de temps en temps, sans pour autant laisser du temps aux dirigeants progressistes du pays pour guérir ou panser les dernières blessures, il y a toujours, pour le malheur d’Haïti, des tractations politiques entre acteurs locaux et internationaux pour faciliter l’entrée des bottes étrangères dans le pays.
Ils débarquaient souvent à leur guise. Mais quand, pour des raisons cachées ou d’autres stratégies politiques, ils ne voulaient pas le faire eux-mêmes directement, ils cherchaient des frères africains pour les aider à concrétiser leur projet macabre. Ce qui fait que, cette fois-ci, les blancs cèdent la commande du débarquement aux noirs. Donc officiellement ce sont, avec des policiers Kenyans au pays, les noirs qui débarquent ce mardi 25 juin 2024.
Et face à cette nouvelle évolution dans une crise haïtienne qui a trop duré, les nationalistes qui sont toujours des anti interventionnistes vont devoir assister le triomphe des partisans de la présence des troupes étrangères sur le territoire d’Haïti. Hélas!
Mais quant aux opinions de certains analystes politiques dans ce dossier, particulièrement de la présence du Kenya à la tête d’une force multinationale en Haïti, leurs compréhensions varient en fonction des intérêts et la compréhension de la crise qui ronge le pays.
Et certains commentateurs vont jusqu’à insinuer que, vu la quantité d’armes de grand calibre en circulation en Haïti, les grands voisins du Nord (Les États-Unis et le Canada) avaient grandement peur des retombées négatives de leurs troupes sur le terrain du bourbier haitien.
Selon la lecture de ces analystes, que ce soit l’administration du président américain Joe Biden ou le gouvernement du Premier ministre Canadien, Justin Trudeau, ils ne veulent pas payer les conséquences de leurs inconséquences dans de pertes de vies humaines de leurs soldats au cas où les bandits armés voudraient offrir une ultime résistance.
Tout en posant ce problème, quoique c’est un autre contexte et une époque différente, la crise actuelle d’Haïti rappelle les trois ans du coup d’État du 30 septembre 1991 où la communauté internationale cherchait à résoudre le conflit par une solution négociée avec les deux protagonistes à savoir le président Jean Bertrand Aristide et le général Raoul Cedras.
C’était dans cet ordre d’idée que, trois mois après l’accord signé à l’Ile des Gouverneurs, étaient rentrées à Port-au-Prince des centaines de troupes américaines et canadiennes à bord du navire américain Hallan-County. ‘’Le 11 octobre 1993, Port-au-Prince attend le débarquement du premier contingent des forces de l’ONU chargé de veiller au respect de l’accord de l’Ile des Gouverneurs, signé le 3 juillet entre le président Jean-Bertrand Aristide, en exil depuis le coup d’État du 30 septembre 1991, et le chef de la junte, le général Raoul Cédras’’, écrit Christophe Wargny dans son texte : L’élimination programmée du président Aristide, publié dans les colonnes du journal Le Monde Diplomatique en Avril 1994.
Mais à la surprise des observateurs, analystes politiques nationaux et internationaux, le navire de la première force militaire mondiale avait été, une fois arrivée sur la rade de Port-au-Prince, chassé par un petit groupe d’attachés à la solde des militaires.
Sur le port, ce petit groupe de paramilitaires du style escadron de la mort, connu sous le nom de FRAPH, (Front Révolutionnaire Armé pour le Progrès d’Haïti) qui par la suite allait devenir (Front pour l’Avancement et le Progrès Haïtien) brandissait des bâtons, pistolets pour protester contre l’arrivée du navire Hallan-County.
C’était ce groupe d’attachés qui ne voulaient pas se détacher du pouvoir, capable de perpétrer des actes de violence seulement sur des femmes et innocents qui, ce jour-là, faisaient semblant de représenter un danger pour le Hallan-County. De toute façon, le bateau était forcé de retourner. Et FRAPH avait frappé.
Plusieurs cas de figures expliquaient ce revirement. Premièrement, le Pentagone n’avait pas été bien informé par ses agents sur le terrain. Mais là encore, ces hommes maigres, mal habillés et équipés seulement avec des bâtons et des pistolets, dont Dieu seul sait s’ils étaient en possession de munitions, étaient-ils vraiment capables de battre ou de forcer un navire américain à rebrousser chemin.
Deuxièmement, peut-on placer le retrait du bateau comme étant une certaine inquiétude par rapport à ce qui était arrivé il y a quelques semaines à Mogadishu en Somalie en 1993.
En effet, “Dix-huit soldats américains ont été tués peu de temps au paravant en Somalie. Haïti, une nouvelle chausse-trappe ? En fait, comme le souligne le New York Times, « malgré la volonté du président Clinton d’assurer le retour d’Aristide au pouvoir et de restaurer la démocratie, des officiels du Pentagone ont déclaré qu’il était hasardeux de risquer des vies américaines pour un homme qu’ils considéraient comme un dirigeant douteux et peu fiable.”
Si en 1993 les hommes du FRAPH avaient forcé le navire Hallan-County à rebrousser chemin, alors qu’ils n’étaient pas vraiment armés, aujourd’hui, avec des armes de grand calibre dans tout le pays, les bandits peuvent, s’ils veulent vraiment se battre, faire beaucoup de victimes dans le camp adverse.
Et à l’heure de la technologie moderne de communication, pour montrer leurs bravoures, ces voyous d’Haïti, comme cela avait été fait à Mogadishu en Somalie en 1993, n’hésiteraient pas à filmer les corps des soldats américains dans les rues de Port-au-Prince. Et c’est ce risque, en plein processus des élections présidentielles de novembre de cette année, que refuse de prendre l’administration du président Joe Biden face à l’opinion publique américaine.
À malin, malin et demie. Ainsi, comme une patate chaude dans les mains de ceux-la qui aiment gouverner par le chaos, la crise actuelle d’Haïti pose problème. Et c’est dans ce contexte d’une certaine peur de perdre d’un côté, et d’une envie de trouver une solution maquillée au problème afin d’arriver à l’organisation d’une autre élection frauduleuse, que la Mission Multilatérale d’Appui à la Sécurité (MMAS) débarque en Haïti ce mardi 25 juin 2024.
Prof. Esau Jean-Baptiste