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Dangereuse accoutumance: Une réflexion de Jackson Joseph

Et tout n’était que du vent. Des tonneaux vides qui ont résonné telle une mer en démence. Des feux de paille qui ont pris l’allure d’immenses brasiers mais n’ont été en réalité que des feux de paille dont la chaleur n’a duré que « l’espace d’un cillement ».

Et après! Le calme plat. Rien, absolument. Sinon que la vie a repris ses ignobles habitudes, ses chants méphitiques, ses exhalaisons putrides. Et le mal, tant qu’il dure et perdure s’amplifie, s’intensifie et se bonifie pour le plus grand bien de ses génies. Et eux, dans leur assurance, deviennent plus féconds, et le mal pluriforme.

Ce sont tes reins, ton cœur, tout ce que tu possèdes d’organes qui ne t’appartiennent plus. Tout vivant, les parties de ton corps sont déjà vendus aux enchères. Et si les chiens continuent de se délecter des cadavres éparpillés sur les piles d’immondices et que nous admirons ces charognes tout en étant impassibles, ils sont déjà dépourvus des membres essentiels. C’est la nouvelle mode bourrée de charme, le kidnapping et les meurtres d’innocents, d’enfants, la torture des femmes, étant devenus de moins en moins excitants.

Après toutes les agitations d’acteurs peu crédibles jusqu’au triomphe du Premier ministre Ariel Henry le 7 février 2024, tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Les choses ont repris leur cours normal dans l’Haïti de ce pouvoir où tout fonctionne comme sur des roulettes en diraient ses potentats.

Ce n’étaient que des nuages sombres dans le ciel bleu d’un gouvernement qui fait de son mieux pour se maintenir en place, qui se tient debout malgré tout et qui est en train de réussir là où beaucoup d’autres ont échoué ici et ailleurs. Ce pouvoir est en train de réussir ce qu’aucun autre pouvoir avant lui n’avait pu accomplir: instaurer la peur, le chaos absolu, massacrer le plus grand nombre d’innocents possible, remplacer les forces de l’ordre par les gangs armés ou dans le meilleurs des cas, les fondre, les mêler les uns aux autres face à sa population civile désarmée et perdue dans un tourbillon de peine absolue.

Peu importe ce que disent les mauvaises langues, ce gouvernement est un exemple inédit de pouvoir politique en Haïti. Il a tu toutes les envies de révolte. Il a cassé toutes les tentatives de rébellion et mis à découvert tous les faux-culs de politiciens, démagogues et inconstants.

C’est un gouvernement qui est passé maître dans la vente et l’achat d’hommes et de femmes que la République glorifiait. C’est un gouvernement-marchand, expert dans la commercialisation de la justice, de la dignité humaine, de l’espérance de jeunes esprits, de toute une nation exposée une fois de trop, à la risée des jaloux de son glorieux passé historique dont elle n’est aujourd’hui que les lambeaux.

Il y a dans le mensonge quelque chose de malsain qui fait que le menteur finit lui-même par s’y accrocher comme à une vérité. Ainsi que pour le mal et ses génies qui en viennent, au bout du compte, à se persuader d’être bons parce que tout simplement, ils s’imaginent difficilement mauvais s’ils sont entourés de tant de gens qui les magnifient et croient en leurs œuvres. Et aussi, que jamais, se disent-ils, on ne peut être si mauvais tel qu’on veut le faire penser, pour que toute une population nous regarde faire sans s’indigner ni se révolter pour de vrai.

Ce sont des arguments qui tiennent. Car aucun peuple ne devrait se laisser autant humilier sans réagir. Nulle société ne devrait se plaire à attendre que d’autres décident de son sort, de sa propre destinée. Ce sont les peuples qui font les rois. Ce sont eux les vrais maîtres des pouvoirs politiques. Et cela s’est documenté à travers le temps.

Au Sri Lanka, en juillet 2022, le chef de l’État, Gotabaya Rajapaksa a dû non seulement démissionner mais aussi s’enfuir aux Maldives face à la colère populaire. Et divers autres cas tels ceux de Sigmundur David Gunnlaudgsson en Islande en 2016; Evo Morales en Bolivie, 2019; le Coup de Prague de 1948; et mille autres exemples du même genre, et dans le temps, le cas d’Haïti aussi bien sûr, si l’on se rappelle Dumarsais Estimé, Sténio Vincent entre autres…

Les données ont changé, on dirait, en 2024: la misère n’est plus la misère, l’insécurité n’en est plus ni même les meurtres collectifs à ciel ouvert. La corruption, le mensonge, l’injustice, les crimes de masse, tout cela se passe dans le silence lourd et complice des uns et des autres, d’ici et d’ailleurs.

Ces infortunés et leurs malheurs!

Le bateau coule et ils se débattent chacun dans son coin en recherchant un certain confort pour soi sinon au détriment des autres, du moins sans eux. Les jours passent et leur situation s’aggrave.

Ils attendent un maître. Un Messie. Mais y a-t-il encore un dieu pour les infortunés? Ou devront-ils enfin réaliser qu’ils sont les principaux responsables de leur infortune pour avoir accepté de subir l’injustice et l’oppression avec docilité. Et qu’il faille désormais reconnaître qu’ils survivent dans une dangereuse accoutumance qui leur impose de se réveiller, de se dépouiller de leurs préjugés, de leurs différences, de leurs querelles pour s’ouvrir de nouveaux horizons dans la mise en place d’un objectif commun autour d’un seul intérêt: la Patrie à sortir de la boue.

Puis, il y a aussi qu’ils doivent s’entendre sur la manière de s’organiser pour mener une bataille acharnée contre des adversaires redoutables qui sont d’ici et d’ailleurs, tenants intransigeants et puissants d’un système de répression sanglante. Ce sont les écoles et les universités publiques et privées qui doivent être le bastion des premieres réflexions de cette révolte.

Et ce sont les enseignants, les professeurs et les intellectuels en dehors des avantages corruptibles du pouvoir politique qui peuvent être les meilleurs leaders d’une telle poussée contre le déni des libertés individuelles. La population peut et veut suivre des meneurs mais qui ne sont plus ceux qui aboient sur tous les toits pour tromper sa vigilance.

Jackson Joseph pour la nouvelle Haïti 🇭🇹!

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