«Foulay» : Quand les jeunes inventent de nouveaux sens et confondent néologie à la néosémie
Entre un mot et son sens, ce sont deux extrémités indissociables, appréhendés par l’usager pour agir sur son environnement, décrire la réalité, donc le mot est l’outil important dans l’acte de langage. Les mots dits nouveaux, marchent de pairs avec des réalités nouvelles, cependant de nouvelles connotations sont susceptibles de réinventer un mot déjà existé dans une langue ; cette réalité touche toutes les langues et notamment le créole haïtien.
L’affluence des nouveaux mots dans une langue prend la forme des évènements qui ont lieu dans la société, de la nécessité de mettre une forme sur un référent. «Foulay», est-il un mot nouveau (néologisme) ou un mot qui a été criblé dans le crible sémantique (néosémie) des jeunes sous l’influence de la musique populaire ?
Les tendances populaires, vecteur du néologisme et de la néosémie dans le créole Haïtien
Les grands consommateurs de la musique populaire, entre autres les jeunes, imprègnent le modèle véhiculé dans les chansons. Le trap, le drill et le Rabòday sont pour la plupart du temps au cœur de ces changements. Aujourd’hui, le mot «Foulay» est l’influence de l’heure. On l’entend partout dans le parler des jeunes. Ces créations artistiques et populaires ont des incidences sur l’évolution de la langue (Créole Haïtien), en favorisant l’apparition de mots nouveaux ou de sens nouveaux.
Le règne du Rabòday a laissé plusieurs mots en usage constant dans la communauté, comme c’est le cas pour les mots : «chawa, zokiki etc… » Le Trap et le Drill qui connaissent un essor considérable dans le milieu musical haïtien, pérennisent la popularisation de ce mot «foulay», usé depuis quelque temps par les Rabòdayistes.
Les multiples sens du mot « Foulay » sont en effet accepté par une bonne partie des jeunes qui le truffe de sens ou qui cherchent encore son sens en allant jusqu’à penser que le mot est nouveau, et a été invité par le DJ NG Mix en publiant sa mixtape intitulée « No Foulay ».
Du latin au Français, du Français au Créole Haïtien
La plupart des jeunes interviewés sur le sujet pensent que «foulay» serait d’origine d’anglaise, soit de «full of lies» qui signifie «rempli de mensonges», c’est ainsi qu’ils se l’approprient dans un contexte de doute ou d’une idée faussée sur un sujet. C’est ce que croit Stéphanie, étudiante à l’université INUKA, « Par exemple dans une vidéo que mon amie a posté sur son status WhatsApp, elle affrime qu’elle va me bloquer. Je sais que ce n’est pas vrai, donc Foulay » a-t-elle martellé, sans nier le fait que d’autres jeunes se l’approprient différemment. En outre, on utilise « foulay » pour décrire le «m’as-tu vu», briser l’apparence trompeuse sur la toile.
Par ailleurs, selon un point de vue linguistique, le lexique (foulay) est devenu populaire mais existait depuis longtemps dans le lexique du créole haïtien. Du bas-latin “fullare” (exercer le métier de foulon) ou du latin “fullo”. De «fouler» verbe en Français, qui signifie : presser, écraser une chose qui n’oppose guère de résistance. Le mot s’est créolisé en «foule» verbe en créole, puis le verbe s’est nominalisé à partir de l’adjonction du suffixe nominal «Ay» pour donner ”Foulay ”. Donc «Foulay» serait l’équivalent de «foulure» en français ayant pour sens dénotatif (sens premier), une lésion produite par un corps contondant. Cette forme d’expression verbale existait bien avant dans la production langagière de l’haïtien, surtout dans les milieux ruraux ou dans le parler des plus âgés dans un créole basilectal.
Foulay : Entre euphémisme et polysémie
«Foulay» comme des lexèmes de toutes les langues, peut avoir de multiple sens (polysémie), mais ce dernier semble se heurter à une pluralité de sens inattendue. Car certains jeunes pensent que c’est un mot qui n’a pas de barrière de sens. « On peut l’utiliser pour tout dire » relate Ocson, un jeune banlieusard qui croit que l’appropriation du mot est personnelle ; un nouveau mot pour l’idiolecte de sa bande, pour eux, quand ils disent «manzè ap fè foulay» c’est comme pour donner une connotation péjorative qui se traduit en «cette fille fait de l’intéressante», «le sens est dans le contexte d’emploi» a-t-il ajouté.
Un jeune professeur de chiffre interviewé sur le sujet pense tout simplement que c’est un mot euphémique que les jeunes utilisent pour être moins vulgaire. Pour Jude, le mot a certes un usage multiple, mais contextuel. Le sens montre à chaque fois une euphémisation de la pensée perverse ou machiste chez les jeunes.
Donc, le mot n’a pas été inventé avec l’opus du DJ NG Mix, mais plutôt une invention de nouveaux sens appréhendés dans le parler des jeunes qui s’y trouve une certaine mode comme le cas des influences vestimentaires, coupe de cheveux empruntés dans les innovations créatrices des artistes haïtiens et étrangers.
Guerby JEAN
Impulse Web Medias