Haïti-Justice: Trois rafales à blanc
Dans leur levée de bouclier contre les avocats dans le processus de nomination des juges à la Cour de cassation, les syndicats de magistrats sortent le grand jeu, leurs meilleures artilleries, des munitions de calibres divers, allant d’une démarche normale d’affrontement des arguments aux coups bas indignes des professions du droit. Tous les coups sont bons pour claquer la porte aux nez des avocats dans la magistrature.
Pour tenter de vaincre le bon droit, les syndicats de magistrats avancent sur trois fronts:
1. Une tentative de fonder en droit leurs allégations
Cette première démarche consiste essentiellement à établir l’abrogation de Décret du 22 août 1995 qui consacre l’intégration dans la magistrature par la Loi du 27 novembre 2007 portant statut de la magistrature.
Après un long moment d’observation (surement pour voir jusqu’où va la mauvaise foi de ces magistrats), les avocats montent leur camp pour défendre leur territoire (pour faire valoir leur droit) en accablant leurs adversaires par des arguments qui font l’effet de coups de massue :
Le Barreau de Port-au-Prince dans sa note en date du 16 mai 2022, recommande gentiment aux magistrats contestataires une relecture des articles 175, 176, 184-2 de la Constitution, des articles 13 à 15 du Décret du 22 aout 1995, pour ensuite leur rappeler que l’espace judiciaire n’est pas une chasse gardée des magistrats en fonction, et le plus important, que la présence des avocats dans la magistrature est une valeur ajoutée pour la justice.
A la même date que dessus, la Fédération des Barreaux d’Haïti dit prendre acte de la campagne des syndicats de magistrats dont le but consiste à barrer la route aux avocats. Une attitude que la FBH qualifie d’incongrue. La Fédération rappelle que l’article 15 du Décret du 22 aout 1995 a toujours prévu les deux conditions alternatives pour être juge à la Cour de cassation.
Toujours à la même date, le Conseiller au CSPJ, Me Evens Fils, comme pour se désolidariser de la démarche corporatiste de certaines autorités du CSPJ , rappelle que si la loi intemporelle et impersonnelle n’interdit pas l’intégration directe des avocats à la Cour de cassation, ce n’est pas aux syndicats de l’interdire.
Depuis lors, des voix de la profession d’avocat, parmi les plus avisées, se lèvent pour rappeler aux syndicats les limites de leurs prérogatives. C’est ainsi que Me Sonet Saint Louis, dans une note en date du 17 mai 2022 leur rappelle que le pouvoir judiciaire n’est pas la boutique des associations de magistrats. Me Samuel Madistin, dans une intervention dans la presse en date 25 mai 2022, établit la dangerosité du comportement des syndicats de magistrats qui ne jurent que par l’occupation d’espaces de pouvoir aux fins de faire une main mise sur la justice. Ce qui, selon Me Madistin, représente un danger pour la justice et pour l’Etat de droit. Quant à Me Patrick Laurent, dans son intervention en date du 27 mai 2022, sans effort, avec une pédagogie empreinte d’un naturel pour le moins déconcertant, montre la légèreté de l’argumentaire des magistrats qui ont voulu expliquer l’interdiction de l’intégration directe à la Cour en tentant de prouver que la Loi de 2007 aurait abrogé le Décret de 1995.
En un rien de temps, les arguments des magistrats ont été balayés par ces généraux de l’avocature haïtienne, contraignant ainsi les magistrats à constater leur débâcle.
2. Faire passer les avocats pour les pestiférés de la magistrature
Sachant que leurs arguments allaient être rejetés (comme de fait ils sont rejetés d’un revers de main), en même temps qu’ils tentent de fonder en droit leur prétention, les magistrats procèdent à des attaques personnelles en cherchant à jeter le discrédit sur les avocats. Cette tentative a été initiée par l’Association Nationale des Magistrats Haïtiens (ANAMAH) qui, dans sa correspondance au CSPJ en date du 20 avril, n’a pas du tout aménagé les avocats en les considérant comme étant les pestiférés capables de faire perdre l’embryon de confiance qu’inspire le pouvoir judiciaire.
Les répliques des avocats ont été claires. S’il y a eu un embryon de confiance dans la magistrature, la contribution des avocats y était considérable. Car la présence des avocats dans la magistrature a toujours représenté un garde-fou important face à la propagation des mauvaises pratiques, a précisé la Fédération des Barreaux d’Haïti.
Dans ce même angle de tir, deux exemples ont été utilisés à titre d’illustration : Le premier exemple est celui de l’honorable Magistrat Georges Moise qu’on ne peut ne pas citer quand on veut parler des magistrats les plus compétents et les plus intègres de l’histoire récente de la Cour de cassation. Cet exemple a démontré combien la magistrature a bénéficié de la présence d’un avocat pour la confirmation de la noblesse de la Cour. Et l’autre exemple est celui d’un juge à la Cour qui a suivi le cheminement très cher aux syndicats de magistrats pour arriver à la Cour. Ce magistrat n’a jamais cessé faire ce que dénonce ANAMAH, il est même allé jusqu’à signer des documents ayant l’entête du palais national. Quand la FBH parle de mauvaise pratique dans la magistrature, elle sait de quoi elle parle.
La plus terrifiantes des réponses données à l’affront fait aux avocats vient de Me Samuel Madistin qui a établi, faits à l’appui, que la démarche de l’ANAMAH n’est autre qu’un règlement de compte qui ne vise pas l’ensemble de la corporation d’avocats mais un avocat en particulier qui est l’ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Port-au-Prince, Me Carlos Hercule qui, Bâtonnier étant, c’était montré sévère dans le traitement des demandes de réinscription au tableau de l’ordre d’anciens magistrats.
3. La dernière carte des syndicats de magistrats.
Désarçonnés par l’arsenal de l’avocature, les syndicalistes de la magistrature n’ont pas hésité à recourir aux coups bas. Ainsi procèdent-ils à la manipulation de l’opinion publique. En date du 28 mai 2022, sur les réseaux sociaux, une illustration de ce procédé été donnée en ces termes :
« Collègues Magistrats, je vous adresse ce message pour vous informer d’un grand danger qui plane sur l’avenir de la Magistrature Haïtienne […]. Hier, une réunion s’est déroulée entre le ministre de la justice, le premier ministre, le secrétaire de la présidence et les conseillers au CSPJ autour de la question de la nomination des juges à la Cour de cassation. Au cours de cette réunion, l’exécutif menace de passer en force si les conseillers du CSPJ ne s’associent pas à leur manège de nommer des avocats à la plus haute instance judiciaire du pays […]. Pour la primature, la nomination des juges à la Cour facilitera la mise en place d’un Conseil électoral provisoire et s’assurera de la prestation de serment des nouveaux conseillers électoraux. Pour la Fédération des Barreaux d’Haïti, la nomination des avocats à la Cour de cassation lui donnera le contrôle total du pouvoir judicaire en particulier le CSPJ […] les avocats auront l’autorité de révoquer ou de ne pas donner avis favorable pour le renouvellement des mandats de tout magistrat de caractère et cela marquera la fin de l’embryon d’indépendance de la magistrature haïtienne […]. Cette dernière bribe de phrase tient lieu de signature de la note ».
Sur ce même forum, on pouvait lire aussi le message que voici :
« Bonjour mes chers collègues, voyant vos échanges depuis hier soir, j’interviens sur le forum pour apporter certaines précisions. Le mardi 24 mai, il s’est tenu une rencontre entre le premier ministre, le ministre de la justice et d’autres personnalités du gouvernement et quatre Conseillers du CSPJ, dont votre serviteur. La rencontre s’est déroulée autour du problème de fonctionnement des tribunaux et cours de la République. Ainsi, y ont été débattus : la délocalisation du TPI de Port-au-Prince, la fin de mandat de beaucoup de juges des TPI, le dysfonctionnement de la Cour de cassation. […]. En somme, la rencontre s’était déroulée dans la cordialité et le respect mutuel. Il revient au CSPJ de décider s’il donnera ou non son avis sur la liste des candidats au poste de juge à la Cour de cassation. Sachez bien chers collègues que la défense de vos intérêts, de la justice et de mon pays sera toujours mon combat. […] ».
Pour le premier il y a eu des menaces de l’exécutif sur le CSPJ pour la nomination des avocats à la Cour de cassation, pour le second la rencontre a été marquée par la convivialité et le respect mutuel. De toute évidence, au moins l’un d’entre eux ment. Et en toute vraisemblance, c’est le premier.
Mentir pour faire valoir son point de vue, quoi de plus honteux ?
Dans ce tissu de mensonges il y a lieu d’identifier plusieurs coups :
1. D’abord l’alerte.
A travers ce premier coup, ce lanceur vise à sensibiliser les magistrats aux fins de les entrainer dans sa démagogie pour barrer la route aux avocats, ou du moins à un avocat en particulier comme susdit. Et en attribuant un objectif à la Fédération des Barreaux d’Haïti dans la nomination des juges à la Cour, notre lanceur tente de faire apparaitre une menace pour les intérêts des magistrats qui suivent le cheminement de la magistrature.
2. Ensuite le mensonge sur les menaces proférées
Ce coup anticipe la décision du CSPJ. Ceci a pour but de délégitimer par avance la décision du CSPJ en cas où ce dernier aurait fait correctement son travail qui consiste à donner un avis conforme. Dans ce cas de figure, on aura dit que c’est à cause des menaces que le CSPJ agit de la sorte.
3. Enfin l’objectif politique
Il va sans dire que l’idée d’organiser les élections dans le contexte que nous connaissons est hautement politique et ne fait pas unanimité. En essayant d’associer la nomination des juges à la mise en place du CEP est un atout majeur pour notre lanceur de manipuler l’opinion publique en politisant le processus et du coup le discréditer.
Cette stratégie ne date pas d’hier. Ce même lanceur a laissé croire que le pouvoir en place s’apprêtait à nommer à la Cour des membres du parti au pouvoir. Mais à la sortie de la liste des candidats, on s’est rendu compte que rien de tout cela n’était vrai. Aujourd’hui il poursuit sa mission avec d’autres éléments, d’autres munitions.
La seule démarche loyale des syndicats de magistrats, à savoir la tentative de fonder en droit leurs allégations, se solde par un échec cuisant pour absence d’arguments juridiques et de références légales ; les attaques personnelles sont mises à nues et se révèlent honteuses pour les tenants alors que les tentatives de manipulations de l’opinion publique aurait toujours du mal à faire son chemin dans un secteur où le public cible est constitué des plus avisés dans la science du droit.
Les trois fronts d’attaque des syndicats de la magistrature se révèlent inopérants. Harassés de fatigues, munitions puisées, Les magistrats contestataires sont essoufflés. Après évaluation les diverses munitions mobilisées se révèlent inoffensives, ce qui revient à dire que les trois rafales des trois fronts ont été à blanc.
Caleb BRUTUS
Avocat au barreau de Port-au-Prince
(509) 38 08 70 65
calebbrutus2@gmail.com