Haïti-Économie: Le mythe de l’entrepreneur agricole
Il y a une promotion virale pour transformer tous en entrepreneurs agricoles dans le pays, et cela devient un mythe. Cette promotion est faite tant sur les réseaux sociaux que dans les médias traditionnels, cependant elle est à un degré moindre dans les médias traditionnels. Selon les promoteurs de ce projet, les jeunes agronomes, les jeunes issus de la paysannerie ou autres catégories doivent se tourner vers la terre, donc mettre sur pied leurs entreprises agricoles (exploitations agricoles).
Cette décision permettra non seulement d’améliorer les conditions de vie de ces jeunes, mais elle contribuera aussi au renforcement de la production nationale (production agricole), expliquent les promoteurs.
À entendre ces types de discours, je voudrais émettre à ce propos deux hypothèses : je me suis dis soit que les promoteurs de ces idées sont en mission, soit ils sont méchants ou leurs faibles capacités cognitives font qu’ils ignorent certaines choses réelles. Car, l’affaire n’est pas aussi simple comme on l’offre au public. D’autres paramètres plus générales méritent d’être explorer.
L’irréalisme de l’affaire
La tendance c’est quoi en réalité? On pense qu’avec la combinaison de la somme des efforts de chacun, à travers leur petite activité agricole de substance, on peut donc à la fois relever l’agriculture et provoquer un effet significatif dans l’économie nationale. Cette propagande, elle est mauvaise, on ne peut jamais y arriver de cette façon. Car en réalité, seul l’État peut donner les directives et permettra le relèvement du secteur agricole.
Autrement, les individus font leurs activités avec leur tout petit intérêt individuel fortement risqué, mais ces initiatives ne peuvent pas apporter de grand changements au pays. Et, on peut même arriver à un certain moment, à la génération des dizaines de millionnaires issus de l’entrepreneuriat agricole, sans que le pays ne se bouge pas du point de vue macroéconomique. Et, c’est bien car l’objectif de l’entrepreneur c’est exploiter une opportunité d’affaire. Si vous pensez le contraire, prouvez-le
Cette partie de l’analyse, d’en haut, évoque l’action publique d’un point de vue purement stato-centré, car elle met seulement en évidence les acteurs étatiques et non les acteurs non étatiques dans l’action publique, c’est la logique de la pensée de Muller. Pour cela il est intéressant de faire une petite démarcation de cette démarche sans la rejeter complètement, et pour parvenir à une approche dite pluraliste afin de compléter la réflexion. Et donc selon cette approche, les directives de l’action publique (agriculture) ne se réserve pas totalement aux acteurs étatiques, mais aussi aux individus. Certes elle appartient aux individus, mais ce n’est pas dans une affaire singulière, mais plutôt à travers l’expression des groupes et des mouvements sociaux. En clair, les citoyens peuvent bien orienter l’action publique, seulement en exerçant leur petite souveraineté populaire.
En se basant sur ce modèle, les promoteurs de l’entrepreneuriat agricole seraient au contraire mieux utiles s’ils servaient à publiciser le problème de l’agriculture, formuler le problème pour enfin conscientiser les gens à se regrouper en groupe d’intérêt, pour la défense de la cause publique (l’agriculture). En d’autre terme, construire une capacité d’influence politique au sein des communautés, afin d’exiger à l’État ce qui est dans l’intérêt collectif. Mais la promotion des petites activités isolées, partout dans le pays, une affaire émotive, ne peut pas faire bouger le problème du secteur agricole. S’ils (les promoteurs) n’y auraient pas cette conscience, c’est qu’ils sont trop étrangers à la gestion d’une république, et leurs travaux servent strictement à satisfaire leurs intérêts personnels : Popularité, visibilité, show biz, etc.
Aux investisseurs agricoles, c’est bien de leurs parts, on veut et on doit vivre dignement du travail. Mais en réalisant l’activité, ne faut-il pas aussi ignorer que la gestion territoriale n’est pas convenable à la production agricole, pour l’instant. Et donc face à un ensemble d’inconvénients, qu’aux hasard quelques-uns d’entre vous peuvent s’en sortir de manière singulière, au niveau de l’économie, mais cela n’améliore pas concrètement l’économie globale. En ce qui a trait aux facteurs qui limitent le développement de l’agriculture, hormis de l’instabilité sociopolitique, du problème de financement des activités agricoles, de problèmes de recherche, de l’absence de la souveraineté de l’État qui sont familiers à la société, la géopolitique est un autre facteur. La géopolitique en fait partie, car en tenant compte des influences des géants agroalimentaires du monde sur Haïti, ils constituent un obstacle pour le développement de l’agriculture haïtienne. Des agents locaux sont à leur solde et commercialise leurs produits sur le marché local. Et faute de développement, les exploitants locaux sont incapables de faire la concurrence. Au ton de la Bible, je dirais même : [Les plus justes (entrepreneurs agricoles) seront sauvés]. Mon objectif ce n’est pas décourager les investissements agricoles dans le pays, mais c’est plutôt dire ce qu’on n’a pas dit. Je me permettrai de ne pas le dire aussi, du moins que j’aurais frappé de la Schizophrénie médiévale.
Ce qu’il faut intérioriser, pour charrier un sol, il est bête de mettre la charrue avant les bœufs. Ce que je veux clairement expliquer, avant quoi que ce soit, il faut d’abord promouvoir en premier lieu des citoyens responsables et les citoyens à leurs tours revendiquent un État responsable. Il faut d’abord libérer l’État qui est capturé. C’est là, l’importance de la stimulation de la manifestation de la conscience collective.
Problématique mal abordée : La poussée vers l’individualisme et le désengagement
Les promoteurs des idées de l’entrepreneuriat agricole ont commis deux erreurs fatales, s’ils ne replissaient pas une mission. La toute première, d’abord tout le monde ne peut pas être entrepreneur (agricole ou de commerce), en aucun cas. Cela évoque la diversité de choix et d’orientation. Quelqu’un peut issu de la paysannerie ou de la ville, son choix peut être l’agriculture ou il ne l’est pas. La deuxième, ils oublient que dans toutes les sociétés, les individus renoncent à la plus grande portion de leur souveraineté au profit de l’État, et c’est à l’État de dessiner le destiné du peuple. Cette tâche ne revient plus aux individus dans une certaine mesure. Cependant la société, consciente de sa souveraineté remise à l’État, elle peut exercer à tout moment de pressions populaires sur l’État afin d’exiger des décisions dans l’intérêt collectif. Malgré la mobilisation populaire, c’est l’État qui détient la clé et qui fait office de gestionnaire de la cité. Par cette fonction c’est lui qui décide en dernier ressort. Si l’État n’est pas favorable au développement du secteur agricole, ne vous faites pas illusion, l’agriculture ne se développe pas sans la mobilisation des groupes d’intérêts extérieur à l’État, malgré les intenses efforts individuels.
Prenons en un fait où vous allez voir que les individus sont incapables sans l’État. Si nos jeunes agronomes ou autres entrepreneurs, par exemple, investissaient dans la production des cocotiers. Qu’est-ce qui allait se passer, pendant et après, l’épidémie qui commençait à décimer cette culture dans le pays, il y a quelques années de cela ? Il est évident que ces investisseurs se trouveraient en de très grande difficulté, voire en de péril situation, parce que l’action individuelle est inoffensive dans ce cas. Certes aucun pays au monde n’est exempt des épidémies, mais l’État doit toujours assumer sa responsabilité face à ces problèmes. Que fait l’État haïtien face à l’épidémie qui affecte les cocotiers ? Rien. Pourtant si l’Etat avait pris des dispositions nécessaires pour renforcer la production agricole, un ensemble de dispositions financières, scientifiques, sanitaires, juridiques s’imposerait et servirait de protection à des investissements dans le pays.
Le Taïwan comme modèle de réussite, un pays montagneux jusqu’à 50 % et à une très forte densité démographique, arrivait à construire un niveau de productivité agricole parmi les plus élevé du monde, après la deuxième guerre mondiale. Sa réussite est le résultat, dans une large mesure, d’une politique agricole réelle. Cela a été d’abord « une réforme agraire la plus égalitaire et plus radicale au monde », entre 1949 et 1952. Il n’a pas été question le fruit des activités isolées des Taïwanais. C’est l’État qui a été l’instigateur du boom agraire.
Du point de vue entrepreneurial, il est unanime à reconnaître que le financement est un facteur très important dans le développement des activités économiques, y compris l’entrepreneuriat agricole. Aussi on le sait parfaitement bien qu’un financement peut être d’ordre public ou privé, cependant c’est à l’État d’envoyer le signal. En ce qui à trait à l’agriculture, le signal envoyé par l’État haïtien est un signal de détresse. En se référant aux « programmes incitatifs en faveur des Micros, Petites et Moyennes Entreprises (MPME) » de la Banque de la République d’Haïti (BRH) en 2021, vous voyez sur cinq domaines d’activités, l’agriculture bénéficiait seulement 10 % des financements, tandis que les zones franches recevaient 36 % des financements, la plus grande proportion des financements. Là on n’a pas besoin d’être un expert en développement pour comprendre ce que veut L’État.
En effet, la manière et le point départ choisir pour propulser l’entrepreneuriat agricole, a pour conséquence de construire des êtres égocentriques et désengagés. Ainsi l’individu converti en entrepreneur agricole, il a la tendance de se décanter du reste de la société et reste indifférent par rapport à l’action publique. Leur discours habituel est : « Mwen pa bay Leta regle anyen pou mwen, se Mwen ki Leta tèt Mwen. » Donc, il devient désintéressé du reste de la société.
La logique est que, à chacun sa propre activité de substance et laisse l’État dans sa ribambelle. En plus on croit que, si quelqu’un ne monte pas sa propre exploitation agricole, c’est sa faute, et ceux qui en montent leur leurs ne font pas cas de ce qui n’en a pas. On part vers un schéma très semblable avec celui de l’ignorance des bourgeois pour les pauvres : les bourgeois font leurs affaires et ils s’en fous du reste de la société. Il n’ y a pas presque de solidarité entre les individus. En ce qui concerne la poussée vers ce type d’entrepreneuriat agricole mal forgé, une mauvaise conscience est construite chez les individus, alors qu’elle joue surtout en faveur de ceux qui détiennent l’appareil de l’État. Puisque tout le monde cherche d’abord à se débrouiller, ils ont cru trouvé le Canaan, l’État trouve la tranquillité, malgré les mauvaises gouvernances. Ce scène théâtrale auquel qu’on assiste, semble avoir pour objectif de construire, mal que bien, un monde de débrouillard et non solidaire.
Promotion d’un mauvais modèle entrepreneurial
En plus des considérations ci-dessus, la forme d’entrepreneuriat offerte et développée dans le pays n’est pas la bonne. Généralement c’est le type non dynamisé qui est développé. C’est-à-dire qui n’apporte rien en terme de créativité, disons mieux en terme d’innovation. La non dynamisation elle l’est par rapport qu’il n’y ait pas d’évolution tant dans la production que par rapport au monde extérieur. Il y a donc une absence de pensée dans l’activité entrepreneurial. C’est en générale l’une des faiblesses des entreprises locales et nationales, cette faiblesse leur rend peu concurrentielle, car l’innovation joue un très grand rôle dans la concurrence.
Lorsqu’on observe l’environnement entrepreneurial, on réalise qu’on est encore dans la dynamique de la simplicité de l’entrepreneuriat, il y a une absence de réflexe de nouveauté chez les entrepreneurs ; ils s’inscrivent dans une démarche encore linéaire. Paul faisait du miel, je le fais aussi, mais sans rien apporté en terme d’innovation. Qu’est-ce que j’entends par là ? Pour expliquer je prends seulement un exemple : lorsque Paul fait de l’apiculture, certes il le fait avec des techniques plus améliorées par rapport aux ancêtres, mais qu’il soit Paul ou les revendeurs de miel, peu d’entre eux crée un besoin nouveau ou un produit nouveau par leur sens d’innovation, c’est-à-dire un produit qui démarque les autres, suivant le modèle de Schumpeter. Dit autrement, ils ne cherchent pas à détruire d’autres produits en vue de les remplacer. À ce moment, du fait que de nombreux entrepreneur des autres pays font ce que vous faites ici comme entrepreneur, et avec de meilleurs moyens que vous, la concurrence dévient de plus en plus difficile. Néanmoins vous ignorez que dans le contexte néolibéral, un producteur de miel américain est un concurrent pour un producteur de miel haïtien, même s’il ne l’est pas directement. Seul le sens de la créativité et de l’innovation, donc un entrepreneuriat intelligent peut vous aider dans la concurrence.
Jusqu’ici la forme d’entrepreneuriat agricole que nous avons est similaire avec celle d’acheter et de revendre (Commerce). La seule différence, on n’achète pas, on produit pour être vendu.
Conclusion
Ne vous en faites pas, personne n’est pas opposée à l’entrepreneuriat, particulièrement l’entrepreneuriat agricole. Mais l’entrepreneur agricole prôné est considéré comme un mythe pour plusieurs raisons. D’abord la forme d’entrepreneuriat offerte est mauvaise, elle ne garantit pas sa durabilité dans le temps, puisqu’elle n’est pas dynamique. Ensuite, le point de départ de la mobilisation pour l’entrepreneuriat agricole n’est pas le meilleur, pour cela il est sujet au fiasco. Il n’est pas raisonnable de se contenter uniquement à mobiliser les gens autour de l’entrepreneuriat agricole, sans lutter pour que les conditions nécessaires soient établies. En conséquence, on prépare une catastrophe financière pour les potentiels entrepreneurs agricoles. On sait bien que c’est à l’État d’établir les conditions nécessaires à l’investissement agricole, pourtant le discours le plus populaire de ce projet c’est : « Leta p ap vin fè anyen pou nou la, se nou ki pou degaje nou. » Le discours est faux, et on est en train de détruire la conscience citoyenne. Il faut mettre en tête que l’État nous doit quelques choses, et c’est à nous de l’exiger en cas de négligence. Ce qu’il nous doit exactement dans ce contexte, c’est de créer des conditions favorables à l’évolution de l’entrepreneuriat agricole (route et autres infrastructures agricoles, crédit agricole accessible, protection des investissements, des lois adaptées, etc.), et sans lesquels rien n’est possible dans le secteur.
Lopkendy JACOB, Libre penseur, Ing.-Agronome Lopkendyjacobrne@gmail.com