Dossiers spéciaux

Haïti-Société: Un État complice du chômage et de l’insécurité alimentaire

Le chômage rend de plus en plus vulnérable une communauté par rapport à l’insécurité alimentaire, toutefois le chômage diminue le pouvoir d’achat des gens. Voilà en Haïti une forte proportion de la population active reste encore dans le chômage, ainsi il n’est pas étonnant que plus de 4 millions d’haïtiens, selon les derniers chiffres de la Coordination Nationale de la Sécurité Alimentaire (CNSA), sont dans l’insécurité alimentaire. Quiconque n’a pas besoin d’une loupe pour observer ces faits dans le pays. Alors, qui doit apporter une réponse à ces problèmes ? Je suppose que c’est à l’État de relever ce défi, puisque dans l’État moderne, la population devrait être protégée.

C’est pourquoi en ce jour de la fête de l’agriculture et du travail, je me pose cette question toute triviale : Est-ce-que l’État n’agit pas ? Car quand même, il y a des hommes et femmes qui sont au timon des affaires de l’État. Mais, en réalité, lorsque je pousse la réflexion un peu plus loin, je me rend compte que ma question n’a pas de sens. L’État a bel et bien agi. Car, lorsqu’on analyse la posture de l’État, on estime que c’est lui-même qui préserve cette situation de misère (la faim et le chômage…) qui s’installent dans le pays.

Action ou inaction, l’une ou l’autre indique le vœu de l’État

Suivant certaines pensées et réflexions de la sociologie politique, on peut déterminer où veut aller un gouvernement ou d’une manière générale L’État, explicitement, par les actes du gouvernement. Autrement dit, l’orientation des actions de l’État est un élément clé pour saisir ses objectifs escomptés, car l’inaction de l’État a une valeur importante pour expliquer quel but poursuit l’État. Par exemple, si l’État n’investit ou ne renforce pas l’infrastructure énergétique d’un pays, donc implicitement il peut être manifester le désir de transférer le secteur énergétique qui est de type public vers le secteur privé. En d’autres termes, il voudrait bien que le privé prenne en main ce secteur, à tout prix, quelques soient les conséquences.

 

Il en est de même, dans un pays comme Haïti où l’insécurité alimentaire fait sa course, si toutefois des analyses simplificatrices ne tiennent pas encore en état les esprits, on peut conclure que l’État est le principal complice voire le responsable de ce phénomène, la famine. L’État n’engage pas une quelconque lutte contre la faim dans le pays. Seulement le faible montant alloué au ministère de l’agriculture peut tout indiquer.

Regardons, pour la période allant de 2016 à 2020, le budget alloué au ministère de l’agriculture. En même temps, voyons le nombre de personnes en insécurité alimentaire, selon les chiffres de la CNSA, pour la même période. En 2016, 11 milliards de gourdes ont été octroyés au ministère de l’agriculture à travers le budget national, alors que 3,6 millions d’haïtiens mourraient de faim pendant cette année. Étonnamment l’année suivante, 2017, seulement 7 milliards de gourdes ont été disposés à l’agriculture, en conséquence plus de 4 millions d’habitants souffraient de faim. On constate une diminution de l’enveloppe allouée au ministère de l’agriculture de 4 milliards de gourdes et une augmentation de l’insécurité alimentaire, soit plus de 4000 milles habitants de plus touchés par la famine. En 2018, un effort a été certes tenté mais qui n’a pas été suffisant, puisqu’on a observé à une augmentation du budget de 2 milliards de gourdes par rapport à l’année 2017, soit 9 milliards de gourdes, cependant cela n’a pas empêché qu’un million de gens de plus tombait dans l’insécurité alimentaire par rapport à ceux de 2017. Le même scénario de 2018 a été reproduit en 2019, car le budget a été augmenté de 2,7 milliards de gourdes en le comparant à celui de 2018, pourtant 1,4 millions de personnes de plus par rapport à 2018 tombaient en insécurité alimentaire. Malgré l’insécurité alimentaire ne cessait pas de faire rage, l’an 2020 l’allocation budgétaire du ministère de l’agriculture connait une forte baisse par rapport à 2019, paradoxalement le nombre de personnes en insécurité alimentaire connaît une petite baisse par rapport à 2019, soit 1 million de personnes de moins en insécurité alimentaire.

À l’aide de ces données, on déduit que lorsque le montant alloué au ministère de l’agriculture augmente, il ne dépasse pas 3 milliards de gourdes d’une année budgétaire à une autre, mais généralement c’est toujours une augmentation de 2 milliards de gourdes. Et, pendant cette même période considérée, le budget alloué au Ministère de l’agriculture rodait seulement autour d’une fourchette de 6,5 à 11 milliards de gourdes. Selon l’analyse, quand le montant alloué diminue, l’insécurité alimentaire progresse, donc semble-t-il qu’il y a une corrélation entre le montant alloué à l’agriculture et l’insécurité alimentaire. Mais faut-il admettre que cette corrélation peut ne pas être tout à fait évidente, car d’autres facteurs pouvaient perturber le cours des choses pendant cette période, par exemple les catastrophes naturelles, les épidémies, etc.

En dépit de tout, ce qu’il faut retenir, ce schéma montre que la sécurité alimentaire n’a pas été une priorité pour l’État, à travers son budget. Les données de la période intéressée le démontrent, car le maigre moyen mis à la disposition du Ministère de l’agriculture désigne le sens de l’action publique. Je veux être clair là-dessus, pour qu’on puisse retrouver l’autonomie alimentaire ou pour lutter contre l’insécurité alimentaire, il ne suffit pas seulement d’emblaver un maximum de parcelle de terre comme on le pensait, c’est une reflexe purement traditionnelle, mais il faut aussi des recherches, c’est-à-dire investir dans le durable à travers de politiques publiques. Ce sont les recherches qui permettront de prendre des décisions plus rationnelles (entreprendre de l’amélioration génétique, adaptation des variétés, faire de meilleure lutte contre les ravageurs, détermination de meilleures semences, construire des infrastructures nécessaires, etc.) et pour obtenir des résultats durables (meilleurs rendements, obtention des types de produits désirés, variétés plus adaptées surtout par rapport au Changement Climatique, etc.). Notons que le budget du ministère de l’agriculture comporte une partie pour le fonctionnement de la boîte (salaire des employés, entretien, etc.) et une autre partie pour l’investissement (recherche, achats de matériels, formation des cadres, etc.). Pensez-vous entre 6 et 11 milliards de gourdes l’an peuvent réaliser convenablement ces activités ?

 

La pitance allouée au ministère de l’agriculture suffit seulement pour les dépenses mais non pas pour des investissements réels, du moins qu’on résume l’investissement à l’achat de quelques tracteurs et outils aratoires (pioches, machettes, houes…). Le budget alloué est l’expression de la volonté de l’État.

Pas de politique d’emploi, pas d’intégration sociale

Un État qui n’est pas un tyran, c’est-à-dire qui s’est investi de la somme de souverainetés des citoyens pour la gestion de la cité, doit s’assurer du bien être de tous. Or, paradoxalement, le chômage fait rage dans le pays. En 2021, suivant l’approche du Bureau International du Travail (BIT), le taux du chômage était de 14,5 %, indique la banque mondiale. Cependant hormis des normes du BIT, le taux du chômage est nettement supérieur, car deux tiers de la population ne travaillent pas ou ils sont en situation de sous-emploi, selon les estimations de cette même Banque. Alors que partant d’une vision économique du social, le travail est perçu comme le plus important outil d’intégration sociale, car le chômage risque de provoquer la marginalisation sociale. Par là, le travail devient prépondérant dans une société. De ce fait, par les multiples fonctions de l’État, il devrait s’accrocher à la promotion de l’intégration sociale, surtout par la promotion de l’emploi. Malheureusement l’État haïtien n’est pas favorable à cette cause, toutefois sa politique de l’emploi est insuffisante, disons mieux il ne dispose pas d’une politique publique réelle de l’emploi. Aucune condition nécessaire à l’investissement n’a jamais été créé. Il y a un problème de mobilisation des entreprises (Nationales et internationales) et des secteurs économiques dans le pays. Le saviez-vous ? Les Investissements Directs Étrangers (IDEs) représentent moins de 10 % des investissements dans le pays. Puisque le taux différentiel des crédits entre Haïti et les autres pays de la Caraïbe est à environ 13 % par an, les investisseurs font leurs choix. Les crédits bancaires s’offrent à un taux très élevé dans le pays, soit 27 % en moyenne l’an, ce qui limitent aussi les investissements locaux. En réalité le taux du crédit bancaire n’est pas le seul facteur qui empêche les investissements dans le pays, cela pourrait être l’objet d’un débat.

Mais pour comprendre en partie le chômage qui sévit dans le pays, il faut se rendre compte de l’évolution qui affecte le travail (l’emploi) lui-même en Haïti. L’évolution n’affecte pas le travail comme valeur, mais plutôt l’environnement économique. Des changements sont provoqués par l’État dans l’économie haïtienne, des activités sont presque supprimées dans certaines branches de l’économie, au profit d’autre branche. Pourtant, en aucun cas, le développement d’une branche d’activité n’empêcherait pas le développement d’une autre, en temps normal. Lorsqu’on parle de la diminution des activités d’une branche de l’économie au profit d’une autre, c’est le cas du passage de l’économie primaire à l’économie tertiaire, à la fin du XXème siècle. Ce changement à des conséquences très désastreuses sur la société. En plus de l’amplification de l’insécurité alimentaire, il y a un autre effet plus pervers de ce revirement, les économistes l’appellent « déversement de l’emploi ». Pervers, parce qu’en aucun cas la « tertiarisation » de l’économie ne peut pas donner le plein emploi, puisque le secteur des services ne se développe pas assez bien dans le pays. Alors quoi qu’il en soit, le « déversement de l’emploi » est d’abord un choix politique de l’État haïtien, puisque c’est particulièrement la conséquence de la libéralisation du marché qui affaiblit l’économie primaire. La désintégration de l’économie haïtienne est donc un projet de l’État haïtien.

 

Au XXème siècle, plus que la moitié de population active était occupée dans l’économie primaire, particulièrement dans l’agriculture, et le secteur primaire (l’agriculture) à lui seul représentait plus de 50 % du PIB. Si l’État haïtien voulait autrement que le chômage et la misère, de préférence, il tertiarisait l’agriculture comme croient bon nombre d’économistes. En effet, donner un caractère plus social, plus relationnel aux activités agricoles, ainsi le nombre d’emploi disponible augmenterait au lieu d’en diminuer. Pour être plus clair, il fallait que l’État développait le secteur du service dans l’agriculture.

Pour finir, si l’État n’investit pas dans un sens, il investit dans l’autre. Il est clair que cette situation exécrable qui perdure dans le pays résulte de l’expression de la volonté de l’État, car l’État haïtien n’investit pas dans le social. Quand je dis social, ce n’est pas avec une connotation péjorative du mot comme on l’évoque de très souvent, mais plutôt c’est de ne pas considérer l’être haïtien comme un objet. J’ai tiré cette évidence puisque l’État n’a pas mobilisé des ressources suffisantes pour combattre le chômage, l’insécurité alimentaire, pour donner accès à l’éducation à tous, pour rendre accessible les soins de santé, etc.

 

Lopkendy JACOB, Libre penseur, Agronome Lopkendyjacobrne@gmail.com

 

 

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Lovelie Stanley NUMA

Lovelie Stanley NUMA, Journaliste Écologique et PDG Impulse WebMedias. Coordonnatrice Générale de l'association dénommée "Collectif des Journalistes Haïtiens Engagés pour l'Environnement (CoJHEE). La voix des sans-voix. Le journalisme utile c'est ma passion. Je travaille également pour des médias internationaux.