UPNCH : Lettre ouverte au ministre de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle, M. Nesmy MANIGAT
Le 19 avril 2022
Monsieur le ministre,
Je m’adresse à vous suite à la circulaire no C-11:354 du 14 avril 2022 par laquelle vous avez acté la nomination du Dr Joram VIXAMAR Recteur de l’Université publique du Nord au Cap-Haïtien (UPNCH) pour une période de quatre (4) ans.
En ma qualité d’ancien professeur, d’ancien directeur du master en économie et gestion des collectivités territoriales et ancien étudiant de la première promotion de l’UPNCH, j’estime être légitime pour vous faire parvenir ces lignes afin de vous exprimer mon désaccord et mes préoccupations quant à la forme, la motivation et les conséquences qui entoure votre décision nommant irrégulièrement le Dr Joram VIXAMAR à la tête de l’UPNCH. Cette décision ne peut qu’être qualifiée : anti-constitutionnelle, illégale et anti-institutionnelle.
Monsieur le ministre, je constate que votre acte historique et sans précédent, est motivé par trois arguments dont l’un est en déphasage avec l’autre.
1) Le premier argument relate que votre décision a été prise « (…) suite à la proposition du Conseil de l’UPNCH au MENFP du Dr Joram VIXAMAR au poste de Recteur de l’UPNCH (…).»
Monsieur le ministre, vous n’êtes pas sans savoir que, habituellement, le recrutement des recteurs au sein du réseau des universités publiques départementales (UPD) se fait par voie de concours. Pourtant, paradoxalement, votre décision vient supprimer cet exercice démocratique pour le substituer par un autre mode de recrutement discrétionnaire, désinstitutionnalisé, déhiérarchisé et non transparent. Cette nouvelle forme de recrutement casse non seulement la dynamique démocratico-institutionnelle, mais contribuera indubitablement à l’émergence de nouvelles formes de crises au sein des UPD particulièrement lorsqu’elle permettra l’appropriation graduelle, par les autres universités publiques, de ce très mauvais exemple. Ainsi, nous risquerons de faire face à une sorte d’anarchie dans chacun de ces centres universitaires départementaux respectifs où chaque recteur ou, à défaut, tout acteur désireux et influent, pourra fabriquer sa propre nomination de manière répétitive. En conséquence, ces situations mettront les prochains ministres de l’Éducation nationale devant un fait accompli difficilement réversible.
2) Le deuxième argument soutient qu’« (…) après analyse de ses dossiers (Joram VIXAMAR) déposés et tenant compte de ses profils académique et professionnel ainsi que ses expériences au sein de l’UPNCH et vu la nécessité de garder la stabilité et le bon fonctionnement de l’Université (…) ».
Monsieur le ministre, pour moi, selon cet argument, il apparait extrêmement difficile de faire une analyse objective lorsqu’il n’y a pas eu d’avis de recrutement indiquant les termes de références du poste, les dates de début et de fin du processus… auquel Dr Joram VIXAMAR aurait pu participer à l’instar de tous les autres candidats intéressés. Tel n’a pas été le cas. De ce fait, je peux me permettre de conclure que le Dr Joram VIXAMAR aurait bénéficié d’un favoritisme avéré.
3) Finalement, selon le troisième argument, le Dr Joram VIXAMAR « (…) a été choisi pour occuper le poste de Recteur de ladite Université pour une période de quatre (4) ans conformément à l’article 75 du Décret portant Organisation, Fonctionnement et Modernisation de l’Enseignement supérieur en Haïti. »
Monsieur le ministre, je me permet de penser qu’il parait difficile voire impossible de faire le « choix » du Dr Joram VIXAMAR objectivement, car il a été le candidat unique d’un processus non public. Cela dit, il n’a pas eu de concurrents.
De plus, le décret auquel vous vous êtes référé pour attribuer un mandat de quatre (4) au candidat d’office, n’est pas applicable, car il est en contradiction avec les prescrits constitutionnels selon une résolution votée à l’issue d’une session ordinaire du Conseil de l’université d’État Haïti (CU-UEH) tenue les 14 et 17 novembre 2020. Cette résolution réclame « (…) à l’exécutif de suspendre la mise en application des décrets portant réforme de l’enseignement supérieur en Haïti et la création de l’ANESRS ». La contestation du CU-UEH concerne également le décret portant organisation, fonctionnement et modernisation de l’enseignement supérieur en Haïti. Ces décrets ont été publiés dans Le Moniteur du 30 juin 2020. Selon le motif de la résolution du CU-UEH, lesdits décrets seraient contraires aux dispositions constitutionnelles.
Vous aurez compris Monsieur le ministre, que la décision de nommer le Dr Joram VIXAMAR Recteur de l’UPNCH selon les trois arguments suscités, bien que, selon toute vraisemblance, votre démarche soit animée de bonne volonté, mais elle est, par contre, entachée d’irrégularités. Elle est en dehors des règles de la « transparence objective » et du cadre légal en vigueur dans notre pays.
Au vu de toutes considérations Monsieur le ministre, la circulaire no C-11 :354 du 14 avril 2022 nommant le Dr Joram VIXAMAR Recteur de l’UPNCH, a pour conséquences particulières de :
1) casser le traditionnel concours au sein du réseau de UPD pour recruter un recteur ;
2) créer un très mauvais précédent au sein dudit réseau ;
3) légaliser ou institutionaliser les actes de corruption au sein de l’UPNCH particulièrement;
4) déresponsabiliser le MENFP, car il laisse le choix d’un recteur à la solde du conseil de chaque UPD respectivement;
5) autonomiser, de manière précoce et inconsciente, l’UPNCH en la mettant sous la tutelle
de l’ANESRS qui n’existe même pas encore. Cette décision ne fera qu’isoler ladite université.
Compte tenu de l’étrangeté de cette décision et les conséquences qu’elle entraine, elle apparait comme un affront à l’intelligentsia haïtienne et à la jeunesse du Nord particulièrement les actuels et anciens étudiants de l’UPNCH. Elle peut être vue aussi comme une très mauvaise surprise faite aux gens du Nord notamment ceux du Cap-Haitien qui connaissent très bien une crise qui secoue l’UPNCH depuis 2017.
Pour restaurer l’UPNCH tout en corrigeant les erreurs commises à travers cette circulaire notemment, Monsieur le ministre, il serait judicieux de :
1) sursoir à l’exécution de la circulaire nommant Dr Joram VIXAMAR Recteur de l’UPNCH ;
2) faire un diagnostic de la situation à l’UPNCH pour prendre des décisions réfléchies ;
3) faire une évaluation au sein de la coordination des UPD afin de corriger certaines anomalies ;
4) organiser un concours, comme avant, pour recruter un nouveau recteur pour l’UPNCH ;
5) faire un audit des différentes administrations ayant dirigé l’UPNCH.
Espérant avoir été utile pour vous comme pour la communauté de l’UPNCH ainsi que pour le réseau des UPD, je vous prie d’agréer, Monsieur le ministre, l’expression de ma plus haute considération.
Francilien BIEN AIME, PhD
Docteur en Science Politique
Université / Sciences Po Bordeaux
Chercheur associé au Centre Émile Durkheim
UMR 5116.