Touchez pas à mon visa !
Depuis quelque temps, la révocation de visas est devenue pour les puissances étrangères un moyen de contrainte indispensable face aux politiques du pays. À chaque conjoncture, et chaque décision jugée inappropriée, elles sévissent. Une attitude qui met à nu l’ingérence des ambassades dans les affaires internes du pays, également qui témoigne de l’attachement des dirigeants à ces « paradis ». Haïti ne serait donc qu’un espace de travail. Un vulgaire gagne-pain.
La « Visaphilie » qui engendre une dénégation des valeurs du pays et un refus de certains de participer à tout effort de relance, accentue sous le couvercle du « devoir d’ingérence » et même de pseudo accord, la dépendance du pays. Le visa est ici un outil de promotion sociale. Un précieux sésame qui ouvre les portes à des soins de santé, à l’emploi, aux études qui généralement ne sont pas motivées par cette envie d’emmagasiner des connaissances nouvelles et utiles pour revenir participer au développement d’Haïti. Mais, plutôt, pour nourrir des sentiments d’autosatisfaction et d’accomplissement personnel. Le visa permet donc à son détenteur de se différencier.
Cette « diplomatie du visa » et/ou chantage diplomatique a deux effets. Des effets manifestés lors du fameux vote de la résolution en faveur du sénateur élu de la Grand’Anse, Guy Philippe. Le premier est ce sentiment qui étreint certains parlementaires en apprenant que leur visa avait été révoqué. Il est symbolisé par ce vieux précepte : « animal nan mal, li nan mal nèt ». Alors on vote. Le second appelle à plus de tact. Convaincre dans une rhétorique futile que l’on est contre la résolution, sans laisser poindre, à travers des signaux accusateurs, que ce sont les menaces ouvertes des ambassades qui motivent ce positionnement.
Cette tentative d’infantiliser les élites haïtiennes reflète une tendance plus profonde encore. Les dirigeants d’ici vivent une réalité alternative dans laquelle Haïti n’existe qu’en tant que moyen d’atteindre certains objectifs personnels. L’exode planifié de leurs familles, la délocalisation de leurs avoirs, marque leur refus de participer dans un éventuel projet national. Ils se conçoivent déjà en rescapés de l’histoire. Une histoire chaotique qu’ils se sont eux-mêmes attelés à façonner. La révocation du visa devient ainsi une sanction suprême. Puisqu’elle revêt non seulement cette capacité de disloquer certaines familles, dont des membres vivent sur le Continent, pour fuir la dérive incontrôlée du navire national ; aussi elle prive certains politiques d’une terre de repli à la fin de leur gestion de la chose publique, pas toujours couronnée de succès ni d’honnêteté.
Dans un tel contexte, personne ne peut nier que le désengagement de cette catégorie d’Haïtiens dans la construction d’une vraie démocratie et d’un pays vivable pour tous n’est motivé que par la recherche d’une satisfaction immédiate. L’avenir est trop imprévisible. Tous les voyants sont au rouge. Les rappels brutaux des autorités de ces « pays-réserves » les réveillent à la terrible réalité qu’ils ont tenté d’occulter depuis des lustres. Une réalité que l’instinct morbide de conservation des intérêts égoïstes a largement contribué à construire.
Les percées xénophobes d’un Donald Trump font vaciller certaines de leurs certitudes et rappellent à ceux-là qui ont consenti un effort excessif pour ressembler aux Occidentaux qu’ils étaient encore estampillés du label haïtien. Désillusion ? La révocation de visas est certes éloquente, mais n’est qu’un euphémisme. Elle cache un mal plus profond, cette crise identitaire qui affecte les élites. Une crise dangereuse qui est en train de s’étendre à quasiment tous les fils et filles du pays, à un moment où l’affirmation de l’essence haïtienne devait constituer un atout indispensable pour faire face aux défis qui attendent la nation.
LionelEdouardPhotographiesociale
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